Je pars à l'autre bout du monde (lettre)

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Alhambra

Je pars à l'autre bout du monde (lettre)

15

19/05/08 à 20:59

[ Bon et bien, comme d'habitude, les avis constructifs sont les bienvenus Smile . ]

Voilà trois nuits que je ne dors plus. Le bateau tangue trop fort, et mes souvenirs hurlent dans mon cerveau. Un fond de remords se partage la couette de mes idées avec la volonté tenace qui m’a d’abord poussée à partir.
Parfois, le soir, je me colle contre le minuscule bout de hublot qu’on m’a accordé, et je me dis que j’ai pu faire une erreur. Que je me jette dans l’inconnu, comme ça, sans même savoir s’il voudra de moi.
Mais c’est trop tard, je ne peux pas repartir. Quand bien même je le voudrais, je ne le pourrais pas. Je n’ai aucune influence, aucune espèce d’importance dans ce bateau.
Léo me répète sans cesse de me faire toute petite. Les filles ne sont pas très appréciées ici. Encore moins les jeunes, encore moins celles qui ont des longs cheveux fins qui volent avec le vent. Il paraît que ça les énerve, que ça les excite.
De toute façon, je ne suis pas en mesure de discuter quoi que ce soit, de réclamer, de faire remarquer avec un sourire que je suis le seul membre de l’équipage à essayer de dormir sous un vieux tissu, alors que j’ai vu des couettes en trop avec les réserves de nourriture, de faire remarquer que personne ne m’adresse la parole à part Léo, que moi je dois manger toute seule dans ma vieille cabine déconfite, alors que tous mangent et rient ensemble.
Je n’ai pas le droit de dire ça, ce serait malvenu. Il me reste un peu moins d’une semaine de traversée, je préfère que ça se passe bien. Et puis Léo a pris des risques en me faisant monter sur ce bateau. Il n’était pas obligé.
Il faut dire, j’ai insisté. J’ai supplié, j’ai gémit, j’ai pleurniché. Tous mes talents d’actrice y sont passés, tu vois. J’ai rappelé des bons souvenirs d’enfance, des services que j’ai rendu à Léo quand on avait 10 ans, je lui ai dit qu’il fallait que je parte loin, que c’était trop dur ici …
Pourtant j’ai bien réfléchi, j’ai pesé le pour et le contre, et c’est ce qui m’est apparu comme la meilleure solution. Il fallait fuir. Fuir tout ça, l’amour, ces conneries … Un bateau, des rustres, mon vieil ami d’enfance, et la liberté dans un pays inconnu. Voilà, ça m’a tentée, c’est tout.
Alors bien sûr, dire que tu ne me manques pas serait mentir, dire que je ne vois pas sans cesse ton beau visage passer et repasser devant mes yeux, que je ne repense pas à tout ce que m’a dit, aux mots d’amour dont tu m’as entourée, aux caresses, aux nuits folles …
Mais j’ai paniqué ! C’est tout !
Je n’aime pas l’amour, le vrai. J’aime la folie, l’ivresse, l’incertitude, l’inconfort. Comme ce bateau, comme ce voyage insensé, qui mène si loin.
Ce n’est pas un simple voyage, c’est un voyage en moi-même, peut-être que c’est ça qui me fera réaliser que l’amour, le vrai, celui qui coule, qui glisse tout simplement, qui se balade sur des rendez-vous fixes, sur des « je t’aime » et sur des « à demain », que c’est ça que j’aime.
Je pense à toi sans arrêts Basile, le matin, quand la mer, tranquillement se réveille, plus bleue et plus lisse que jamais, le soir, quand les reflets de la lune ondulent avec les vagues, sous la pluie et sous le soleil, dans la fatigue et dans la tristesse, dans la surprise et dans l’ivresse du petit vin que je cuve dans ma cabine.
Ne t’ennuie pas trop de moi. Sors, bois, rencontre des gens, rencontre une fille peut-être, une fille qui saura t’aimer, qui saura aimer. Moi je ne sais pas, peut-être que j’apprendrai, mais profite de ta vie Basile.
Je te reviendrai, c’est sûr. Un jour ou l’autre, peut-être bientôt, à peine changée, ou peut-être dans 30 ans, ridée et bronzée, mais plus jeune dans le cœur.
Et ce jour-là, tu me caresseras comme tu le faisais au début, sans les « je t’aime » trop profonds, sans cet amour dans tes yeux. Mais juste avec la passion et l’envie au bout de tes doigts.
Je t’enverrai cette lettre quand j’aurai posé le pied à terre. Ou peut-être que je ne l’enverrai pas …
Je t’embrasse, juste avec cette fougue que tu me connais.
Jade.