Je suis tombé sur ça par hasard dans mes dossiers
J'ai vu que Callebaut était passée il y a pas longtemps dans les C&L.
Je poste notre partie, faite en collaboration.
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Mme Jean était tremblotante. Elle regardait la classe qui la fixait, ne sachant plus où se mettre. Elle frottait frénétiquement ses mains, ses joues étaient déjà gonflées, elle allait pleurer. L'éducateur se plaça alors devant elle. J'aurais bien aimé voir les expressions de notre professeur, mais elle avait déjà tourné le dos, et était maintenant en train de ranger les craies dans un vieux sac plastique qu'elle fourra dans sa sacoche.
L'éducateur prit la parole, d'un air grave, mais sensiblement plus assuré que celui de Mme Jean.
- " S'il vous plaît, à cause de la gravité de la chose, la police sera sur les lieux d'un instant à l'autre accompagnée des pompiers. Je vais vous demander à tous et à toutes de bien vouloir sortir dans le plus grand calme. C'est clair ? Vous faites comme si ce n'était qu'un exercice. Thomas est dans les toilettes de la salle adjacente. S'il vous plaît, n'allez surtout pas voir son corps et ne touchez à rien. Il faut laisser la scène de l'accident parfaitement intacte.
Mme Jean s'il vous plaît. "
La jeune femme frêle se tourna alors vers l'éducateur. Ce dernier ne releva même pas les yeux rouges, il la savait sensible.
- " Vous conduirez vos élèves au stade de foot en plein-air en attendant l'arrivée des secours. Les élèves de cette classe ci ne pourront pas rentrer chez eux jusqu'à nouvel ordre. Il est parfaitement possible que des questions soient posés aux élèves vis-à-vis de Thomas, je tiens à ce qu'ils soient le plus calme tranquille alors conduisait les au stade par le couloir opposé des toilettes. Je ne veux pas de catastrophe, c'est bien clair Mme Jean ? Aucun des élèves ne doit s'approcher du corps !"
Il tourna le dos à la classe, passa la porte après avoir murmuré une dernière fois :
- " Conservez votre calme jeunes gens "
Mme Jean n'avait même plus besoin de prendre la parole. La peur panique avait déjà contaminé toute la classe comme une pandémie vicieuse. Les élèves se levaient, certains rangeaient leurs affaires, d'autres ramassaient juste leurs Gsm. Occupés par leurs petites affaires en somme. Je regardais Allan. Il rangeait ses feuilles avec soin, contrairement à d'habitude. En l'espace de quelques instants, un conglomérat de chair agitée faisait obstruction devant la porte. J'étais un des derniers avec Allan et une jeune fille blonde. La masse avançait dans le couloir, passant par la droite, à l'opposé de la scène. Nous étions les derniers, Allan ne se retournait pas, mais j'ajustais un rapide coup d'oeil en arrière.
La porte des toilettes étant en angle donnait un aperçu de ce qu'il s'était passé. Il y avait un flaque grandissante de sang sur le sol, des éclaboussures sur le seul mur des toilettes visible ainsi que sur le miroir. Une main ensanglantée dépassait du cadre de la porte. Tellement fine, petite. Encore un enfant. Un cuisinier du self était là ainsi que l'homme de maintenance. Le cuisinier avançait vers le corps inerte, déposant une nappe de table pour cacher la dernière expression de son visage.
J'ai vu l'espace de quelque seconde.
Le cadre dehors était très différent. Le soleil chauffait les élèves qui s'étendaient sur l'herbe tiède de l'après-midi. Allan faisait de même, je ne tardais pas à l'imiter. Les jambes croisées j'obervais la foule. Toutes les classes venaient d'être vidées. Les derniers retardataires arrivaient de droite et de gauche. Quelques élèves ignorent encore. Les autres se pressaient de répandre la terrible nouvelle. L'agitation était grandissante. Certains pleuraient. Ils pleuraient dans un coin, en groupe, tous ensemble, un concert de sanglot en chœur. Comme si les larmes étaient devenue une nouvelle mode subite face à cette situation. Ceux qui ne pleuraient pas passaient des coups de téléphones, catastrophés, menteurs, racontant le drame qui trouvera le soir même une place d'honneur sur Facebook.
Les derniers parlaient de Thomas.
Thomas le bouffon. Thomas le Rémi. Thomas l'ermite. Thomas le rêveur.
Je songeais à toutes les choses qu'on avait pu lui dire. Du mal certes. Mais le bien ? Qui dans ce conglomérat plaintif avait dit quelque chose de gentil. Ne serait-ce qu'une seule fois. Un semblant de sympathie et d'attention. Personne. Et pourtant je les voyais remuant, gémissant comme si tout le malheur du monde venait de les atteindre. Ces immondes et répugnantes larves d'hypocrisie me rendaient malade. Mais je ne pouvais pas jeter la pierre. J'étais pareil.
Je suis pareil. Mais je ne pleure pas. Ils pleurent. C'est faux, aucun d'eux ne le connaissait. Je suis presque sûr que plus de la moitié des pleurnichards ignorent jusqu'à son nom de famille. Ils jouent un jeu. Nous sommes tous dans l'herbe et nous jouons à l'élève qui semble le plus crédible, le plus touché par la perte d'un élève dont jusque là, nous ignorions presque l'existence.
Nous étions aussi vide de bonté que la douille encore fumante qui dormait près de son corps sans vie.
Allan avait fermé les yeux, il était crispé, ça se voyait aux traits de son visage.
Moi aussi, j'avais serré d'incompréhension la lanière de mon sac si fort... Qu'elle avait laissé son emprunte sur la peau.
Je fermais les yeux. Bercé par les sordides gémissement et les pleurs étouffés. Le soleil chauffait mon corps tandis que celui de Thomas refroidissait. Je ne le connaissais pas, mais j'avais de la pitié pour ses proches et sa famille. Et pour lui avant tout. Qu'est ce qui avait bien pu déclencher un tel drame ?
Dans mon semi-sommeil je voyais Thomas. Les mains serrant les bords du lavabo, plongé dans son regard au travers du miroir. Un regard noir. L'œil fauve débordant de rage. La main plongeant dans le sac, pour en retirer l'arme qui causerait sa perte. L'iris reflétant l'étroit monde dans lequel tout allait se terminer. Il avait décidé de mourir ici. Peut être parce qu'à ce jour, sa vie ne valait pas plus que de se terminer sur un sol froid mal nettoyé. Une triste loque gisante. Ou peut être. Pour faire comprendre que c'est souvent là où l'on souffre le plus - le lycée, à cause de nous ? que tout finit par s'éteindre. L'arme noire avançait jusqu'à sa tempe. Il ne verserait pas de larme pour sa propre mort ce soir. Il avait le regard aussi sec que le cœur d'un banquier. Et dans ses yeux coulait le nectar de la rage. Et le soleil se cacha derrière les nuages.