*hem* après quelques longs mois d'absence, j'reviens mettre un petit supplément. Oui, je sais. Je suis trop généreux et j'ai une âme noble. M'enfin.
Cette nuit là, il ne dormit pas. Il écrivit. Il écrivait tout ce qui lui traversait l'esprit, ne cherchant pas à structurer ses propos. Tantôt testament, tantôt roman autobiographique, il écrivait ce qu'il pensait du monde, de lui-même, racontait sa journée, sa nuit, ses états d'âme, il décrivait ses sensations, ses sentiments. Il écrivit jusqu'à ce que la douleur qu'il ressentait au poignet soit insupportable. A ce moment, il signa, reposa le bloc notes et le stylo qu'il avait utilisés, posa la tête sur son oreiller et s'endormit.
Le lendemain, il se réveilla avec un horrible mal de crâne. Il se demanda si la visite de cette femme, « Eva », avait été un rêve, ou s'il s'était vraiment emporté comme il le pensait. Il fouilla ses poches -il avait dormi habillé – et y trouva un morceau de papier chiffonné. Il n'avait donc pas rêvé. Cependant, le bloc notes à son chevet était vierge, immaculé. Pourtant, cette rage créative qu'il avait ressentie la veille lui avait semblé si réelle, si matérielle, qu'il ne pouvait vraisemblablement pas ne pas avoir écrit toutes ces pages; il en ressentait encore une douleur au poignet, certes minime comparée à son horrible douleur au crâne, mais bel et bien présente. Il vit sa fenêtre ouverte, et la ferma. Il décida de sortir un peu, de façon à se dégourdir un peu les jambes. Ce matin là, il commanda un café et un croissant au garçon du café situé en face de chez lui, où il avait remarqué une plantureuse blonde déjeuner plusieurs fois. Il ne s'intéressait pas du tout à elle, ce genre de femme lui déplaisait. Il était simplement curieux. Oui, il était plutôt curieux de la voir d'un peu plus près. Malheureusement, elle ne se présenta pas ce matin-là. Ce n'était que partie remise, pensa-t-il. Soudain, il repensa au bout de papier dans sa poche. Il lui fallait s'excuser pour son comportement de la veille. Il s'empara de son téléphone portable, saisit le numéro et décrocha. Une voix lui répondit:
« Allô? Qui est à l'appareil?
- C'est... Je suis l'homme qui vous a agressée hier, je me suis emporté, je... enfin, c'est... j'ai appelé pour m'excuser.
- Ah... Eh bien... C'est aussi de ma faute. Répondit-elle par simple politesse.
- Non, je tiens à me faire pardonner... Je suis désolé, j'étais sous pression, et je n'ai pas l'habitude d'avoir de la visite...
- Ce n'est pas grave...
- Tenez, je vais vous payer un café, rejoignez-moi cet après-midi au bistrot Le Paris.
- Je ne peux pas accepter... Objecta-t-elle.
- Et pourquoi donc? Rendez-vous au café à 17 heures. »
Elle finit par accepter son offre. Il rentra chez lui, pour vaquer à ses occupations habituelles, jusqu'à l'heure fatidique où il dut se rendre à son rendez-vous. Il ne se regarda pas avant de partir. Il savait qu'il aurait vomi, étant donné l'état de son estomac. Il n'avait jamais autant eu conscience de l'immensité de ses entrailles. Son estomac gargouillait, et il en était ainsi de toutes ses tripes. Il ne savait pas si c'était le stress ou l'excitation. Il n'avait jamais vraiment eu de femme dans sa vie, et il se disait que vivre des aventures d'un soir était irrespectueux et de toute façon inespéré, au vu de son physique. De plus, il se disait qu'il était en train de commettre une erreur, qu'il ne devait pas essayer d'être heureux avec qui que ce fût. Il devait mourir et il ne fallait pas qu'il s'attache à quelqu'un par un quelconque lien. Si sa tête lui ordonnait de ne pas se rendre au bar, ses jambes en avaient décidé autrement: d'un pas mécanique, Éric marchait le long du trottoir de la rue Grange-aux-Belles. Il se retrouva à son rendez-vous, mais seul. Il commanda une bière, et alla s'installer à une table. Il avait remarqué que tout le monde le regardait. Ce devait être à cause de son teint livide, ou le fait qu'il frappait bruyamment la table de ses doigts depuis une dizaine de minutes. Enfin, il vit le visage d'Éva passer la porte dans le filet de lumière qui émanait de la rue. L'atmosphère était sombre, assez tendue, mais quand il vit les traits d'Éva, Éric sentit son cœur se réchauffer quelque peu. Elle commanda un capuccino, et il se leva pour payer sa commande. Il aperçut un sourire sur ses lèvres. Ils revinrent s'asseoir à la table d'Éric, qui engagea la conversation:
« Je suis désolé pour hier... J'ai été un goujat.
- Pas la peine de vous excuser, je comprends parfaitement...
- Je tenais quand même à vous dire que je regrettais mes paroles, mes actes... Ce n'est pas dans mes habitudes, et j'ai l'impression, je suis même sur que nous sommes partis du mauvais pied...»
Un silence s'immisça, où ils se regardèrent dans les yeux, sans dire mot. Cet instant parut une éternité à Éric, qui but une gorgée de bière.
« Comment est-ce que vous vivez? Je veux dire, comment faites-vous pour vivre isolé à ce point?
- Je m'occupe. Je peins, j'écris, je joue de quelques instruments... J'écoute de la musique, aussi. Tout ça me permet de m'exprimer, sans interlocuteur.
- Même si l'art est un bon moyen de s'exprimer, il ne faut pas pour autant se renfermer, se replier sur soi-même, car ça ne remplacera jamais un contact humain, qu'il soit amoureux ou amical...
- Selon moi, l'art est bien mieux que toutes ces fadaises. Ça me permet de m'exprimer à cent pour cent, sans qu'il y ait de réponse pour autant. Je ne cherche pas d'échange, seulement un moyen de me révéler sous mon vrai jour, de me comprendre. L'avis des autres m'importe peu.
- C'est assez peu conventionnel, comme raisonnement.
- Au contraire, le raisonnement est typique, c'est l'application qui l'est moins. Combien de fois ai-je vu des jeunes se prétendant « rebelles » suivre telle ou telle mode? Plus sérieusement, je ne pense pas en tant que rebelle, mais en tant qu'Homme, ce qui est, je pense, plus honorable, même si ça ne me confère aucune fierté. Je me contente d'être. Le plus possible.
- Et qu'est-ce...
- Non, j'en ai assez de parler de moi. J'ai l'impression de devenir égocentrique, voire même prétentieux. »
Il but deux gorgées de bière, puis reprit:
« Vous, comment vivez-vous? » demanda-t-il après une grimace due à une douleur qui l'avait obligé à soutenir sa tête d'une main, coude sur la table, et à se tenir le ventre de l'autre main.
« Vous allez bien?
- Ça va, ça va... Vous ne voudriez pas qu'on se tutoie, plutôt?
- Comme tu voudras...
- Bon, tu ne m'as toujours pas répondu: Comment vis-tu?
- Comment je vis, hein... J'essaie de gagner ma vie en faisant du porte à porte, puis quand je rentre chez moi je mange un pot de glace ou autre chose de sucré, et je m'endors seule devant la télévision. Ça fait stéréotype, mais bon, c'est comme ça. Je me lève le matin, je pars en voiture après un café, je rentre épuisée, les jambes ankylosées. »
Ils se fixèrent tous les deux, et une sorte de compassion mutuelle vint obscurcir leur regard. Chacun vivait le cauchemar de l'autre. Une certaine compassion, avec un soupçon d'admiration. Ils s'observèrent une bonne minute, avant de remarquer les yeux de l'autre. Un peu gênés, ils s'agitèrent sur leurs chaises. Ce fut Éva qui rompit le silence:
« Bon...
- Oui...
- Il faut que je retourne au boulot, moi...
- Oui, bien... Bon courage...
- Merci, à toi, bonne journée...
- Merci, toi aussi... »
Après ces quelques politesses, ils se regardèrent de nouveau dans les yeux, les pensées perdues dans un regard fixe, comme s'ils avaient été déconnectés de leur corps dans cette position, figés dans le temps et l'espace. Éva embrassa Éric sur la joue, et s'en alla, le pas lourd. On eût dit qu'elle transportait un sac rempli de pavés tellement sa démarche était lente et peu naturelle.
Éric, quant à lui, paya la note, laissa un pourboire et s'en alla. Quand il franchit le seul de sa porte, il se rendit immédiatement dans sa chambre, automatiquement, comme si une force le poussait jusqu'à son lit.
Cette nuit-là, il fit d'atroces cauchemars.
Cette nuit-là, il rêva de meurtres.
[désolé de l'absence qui n'a pas dû être si insoutenable que ça...]