D'un silence total, je me réveillai tout à coup en entendant mon prénom chuchoté, j'avais dû m'assoupir et Sandra m'avait réveillé parce que je ronflais, selon elle, à cause d’un rhume. Il faisait très chaud dans la chambre de l’appartement loué pour six personnes, pourtant l’hôtel se situait à mille trois cents mètres d’altitude, dans la fraîcheur des Pyrénées au mois d’août. Les rideaux et les volets filtraient les lumières de la place du village, et découpaient comme une île la tête de Sandra sur le blanc du lit : une plage de cheveux.
Je lui demandai si quelque chose n’allait pas, elle n’arrivait pas à dormir à cause d’une chanson béarnaise qui lui revenait en tête, celle répétée pour les obsèques de sa grand-mère. Les mots que nous échangions en chuchotant exprimaient l’absence incolore de sommeil et peut-être l’envie de partager quelques instants, ou plutôt une plage de temps sans repères. Il pouvait être deux heures du matin et nous ouvrions les yeux de voyageurs perdus, arrêtés à une gare inconnue où la nuit nous laissait.
Allongée sur le ventre, Sandra évoluait de façon irrégulière, comme une galaxie dans un espace en mouvement. Je m’agitais certainement aussi de mon côté, cherchant en vain la position finale qui endort. Peut-être qu’en fait, je prolongeais un peu ce moment de nuit né entre deux jours, en dehors de notre histoire et de celle du monde. Elle me dit tout à coup, après trente secondes ou trois minutes de calme « Les draps sont doux. ». Cela nourrissait le contour ouvert des mots qui ne vivaient que par nous. La moitié d’un mètre portait le son à mes oreilles, et d’un seul bras, j’aurais pu toucher son visage au chuchotement intense du champ proche. Nos derniers mots échangés ne furent sans doute pas l’habituel « Bonne nuit », mais ceux qui suivent encore pour étirer un dialogue ou un éveil porté par un courant tendre, ces derniers mots achevèrent un épisode sans cause ni conséquence. Les suivants, ceux du matin certain qui viendrait, s’occuperaient de réveil, de chocolat chaud, des sacs à préparer pour la très jolie ballade vers le lac d’Anayet. La veille et le lendemain se toucheraient à nouveau, engloutissant notre souvenir presque aveugle entre ces deux journées tectoniques.
Des bruits de pas nous éveillèrent à nouveau, assourdis par le mur qui nous séparait du reste de l’appartement. La chambre enfin rafraîchie était bien plus lumineuse, l’heure de pousser les volets était là. Un peu plus de trois mètres de long laissaient la place pour la longueur des lits, une chaise, la porte et un placard, deux mètres de large avaient suffi pour nos deux lits séparés. Il faisait beau et très frais, l’ambiance des sports d’hiver que Rémi souligna et qu’on retrouva tous en regardant dehors les sommets nous menait vers la joie humaine d’une promenade organisée. La vie tracée comme un chemin de montagne reprenait, avec Rémi, à ces huit heures du matin qui nous paraissaient six. Et dans ce début de journée qui eut lieu ensuite, ou avant, il y eut en effet le réveil, le petit déjeuner, les préparatifs puis le départ ensoleillé. La chambre était restée telle quelle, et par la fenêtre peut-être laissée ouverte, la lumière fraîche et nouvelle entrait et touchait le souvenir d’un autre monde.
Entre deux jours |
1/3 |
10/12/2007 à 15:52 |
Ce que tu écris est de plus en plus beau...
Ce moment entre deux jours, celui pour lequel les aiguilles des horloges arrêtent de tourner et pour lequel le soleil et la lune arrêtent de se chercher, c'est un moment magique qu'on a tous plus ou moins vécu une fois, et tes images me sont familières, et tes mots me parlent, et ton texte me touche...
Entre deux jours |
2/3 |
10/12/2007 à 17:15 |
c'est toi qui a écrit ça ? c'est trop beau^^
Entre deux jours |
3/3 |
10/12/2007 à 17:15 |
C'est beau