Etoile de tissu. [ Texte ]

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Am Stram Gram Etoile de tissu. [ Texte ] 15 14/11/09 à 16:04

La première fois que je la vis, elle s'en allait nus pieds, des papillons au ventre, les yeux pleins d'étincelles... Et elle riait, l'enfant, de ce rire cristallin qui chatouille le ciel et balafre mon cœur d'une fraîcheur nostalgique.

J'étais seul, ce jour là.

Elle était trop légère, alerte et sémillante pour que j'entende ses pas qui foulaient la jachère. Il n'y eut que son rire, comme un éclat de verre, pour briser mon silence et me faire trébucher dans les bras trop ouverts d'une douce torture.

Elle courait derrière moi et je me détournai. Au cœur du champ fauché, elle-même se pensait seule. Je le sentis à sa démarche, au halo désinvolte qui semblait la cerner; je le sentis à l'atmosphère que sa volupté, muée en une musique badine, vint alors alanguir..

Elle était belle et fine, au buste élancé, cintré par une robe aux couleurs opalines. Ses cheveux blonds de blé descendaient en anglaises sur ses épaules blanches et son étoile jaune...

Fatalement pris de court, mon corps se pétrifia.

"Friedrich, ce n'est que du tissu."

Dès lors, bien plus que cette pensée, j'entendis dans ma tête la voix d'autres amis qui m'auraient fait admettre que c'était plus que ça...

Je ne pus penser davantage. D'emblée son rire noya le tout en un écho folâtre qui fit vibrer mes membres et me tranquillisa. Aujourd'hui encore plus, je ne m'explique pas bien l'emprise qu'elle eut sur moi qui fut si naturelle voire presque dévolue...

Et bref je me rassis, me ressaisis et j'étais là; allongé, engourdi, au pied d'une botte de foin qui me gardait caché, qui me protégeait d'elle. Paravent insidieux.. J'avais le torse nu. Je prenais le soleil, sans vraiment vouloir voir qu'elle seule pouvait briller et réchauffer mon corps de sa féminité...

Je soupire. Lorsqu'au delà des songes son visage m'apparaît le temps de quelques nuits, délicieusement figé à l'instant où soudain, elle m'avait découvert... Je perds mes moyens. Aussi j'aurai aimé que parmi mes souvenirs le sien s'arrête là...

C'est vrai, sa main tendue à mon égard était une passerelle trop bancale pour m'y aventurer et malgré tout cela, je me suis pris au risque. Elle venait de surgir comme une fée survient, de nulle part et de rien, d'un suave éclat de rire.
Et de la voir de près me fit perdre bon sens...

J'ai saisi ses doigts fins, sa paume délicate, sa main de porcelaine qu'une pression de ma part aurait pu abîmer. Je n'ai fait que sourire, un sourire fatigué sinon hypnotisé... Alors le mistral balaya une boucle qui tombait sur son sein et mon cœur se tordit, douloureux et amer. Par réflexe éperdu, je fermai les paupières pour oublier un peu l'astre de sa poitrine...

"Ce n'est que du tissu. Qu'un vieux bout de tissu..."

Je ne pourrais décrire toutes ces sensations qui sillonnèrent mes veines. J'eus cru à un mirage. Je l'aurais préféré... Toujours est-il qu'en rouvrant les yeux... elle était toujours là. Les siens étaient hazel, ourlés de long cils blonds et quand sa bouche en cœur me prêta un sourire, je vis une fossette s'ébaucher sur sa joue.. L'espace d'une seconde, elle me priva de tout. Du cœur, de la raison... De mon être tout entier. Pour mieux m'offrir à elle, comme on s'offre au péché...

Elle me parla français. Ou avec des mots que je ne compris pas. Je demeurai muet, comme tout à coup frappé, foudroyé par l'éclair d'une fausse conscience beaucoup trop refoulée... Abasourdi, absent.

De là, je cru la perdre. Le reste coula de source. Par la langue, par le sang, par la vie, le destin, elle était loin de moi, elle s'échappait de moi. Elle m'était interdite; la pomme d'un paradis que j'avais inventé. Et en moi quelque part, quelque chose, quelque rien, venait de s'écrouler. Le mur des tabous, le mur du Ça, le mur de mon esprit borné. Je me suis senti lourd, lourd d'autant de ruines. Je me suis senti mal.

Alors j'ai pris la fuite.

J'ai desserré mes doigts des siens entrelacés et je m'en suis allé, sans son nom, avec son ombre. J'ai filé à travers champs, j'ai été lâche. J'ai été homme. Ou Allemand.

Et là encore, en un dernier espoir, j'aurais tellement souhaité que tout s'arrête ici. Qu'à la limite de sa mémoire, je ne puisse me blâmer que de mon faux-fuyant...

*

"Friedrich, tu passes derrière moi et dès que t'en vois un, tu tires, tu discutes pas."

Ce matin là, les ordres étaient simples, précis. Et Inhumains. Mais je devais les suivre. Hans entra le premier, gravit les escaliers. Les éclats d'obus de cette nuit les ayant bien endommagés, il enjamba les trous. L'immeuble était détruit toutefois, parait-il, il avait entendu du bruit. Alors il pénétra dans une petite pièce qui n'en était plus une, par une pauvre porte du seul pan de mur qui restait édifié.

"Finalement pars à gauche, je m'occupe du reste". Toujours comme un clébard, je me pliai aux ordres, changeai de direction. De mon côté aussi il n'y avait guère plus que des squelettes de fondations, autant de gros débris qui encombraient le sol.
Or je n'étais pas seul. L'air que je respirais l'avait déjà été, l'était peut-être encore.

Une pierre dégringola. Je déglutis, me retournai.

Rien.

Dans le creux de ma main mon arme ne cessait de trembler, l'index sur la gâchette. Mes bottes roulèrent sur des cailloux, je perdis l'équilibre mais j'avançai toujours.

Et puis, brutalement, sèchement, un coup de feu. J'en eu l'échine électrifiée; de suite j'accourus.

Hans était tordu d'un rire rauque pendant qu'il crachait sur un corps sans vie. Il lâcha un "Salope", me fit signe d'approcher. En dessous d'une armoire je devinai un bras, au poignet fin, à la peau blanche. Et puis plus haut, au niveau de l'épaule : une auréole de sang, une natte couleur blé.

À ma mine pantoise, Hans haussa les épaules et tourna les talons, s'en alla, sans un mot, salaud et satisfait. Alors je m'allongeai. Et je vis devant moi ce qui me fit mourir une première fois...

C'était elle.
Entre toutes, il fallut qu'Elle soit là...

Et les paupières closes, ses lèvres entrouvertes, petite poupée de cire au visage cendré s'éteignit doucement au cœur des décombres d'un faux conte de fée...

____


Écrit cette nuit à partir d'anciennes bribes de phrases. Je ne l'ai pas retravaillé, néanmoins je l'offre à vos critiques.

Am Stram Gram.

Etoile de tissu. [ Texte ] 1/15 14/11/2009 à 16:11
Bravo
Etoile de tissu. [ Texte ] 2/15 14/11/2009 à 16:21
Am Stram Gram commence à se cristalliser dans des textes qui ne sont pas désagréables à lire.
Etoile de tissu. [ Texte ] 3/15 14/11/2009 à 16:33
Tout à fait mon style de texte, c'est vraiment beau Coeur
Etoile de tissu. [ Texte ] 4/15 14/11/2009 à 18:16
Merci beaucoup à vous ! Smile

ASG.
Etoile de tissu. [ Texte ] 5/15 14/11/2009 à 18:51
J'ai accroché que sur la fin, le reste je l'ai vraiment trouvé indigeste à la lecture.
Etoile de tissu. [ Texte ] 6/15 14/11/2009 à 19:01
Oui, je me disais bien que les formulations là n'allaient pas te plaire MDR . Mais bon Wink

ASG.
Etoile de tissu. [ Texte ] 7/15 14/11/2009 à 20:16
J'aime beaucoup.
Etoile de tissu. [ Texte ] 8/15 14/11/2009 à 20:33
Très beau.
Etoile de tissu. [ Texte ] 9/15 14/11/2009 à 21:45
Bravo
Etoile de tissu. [ Texte ] 10/15 15/11/2009 à 18:28
Frosties a écrit :

J'ai accroché que sur la fin, le reste je l'ai vraiment trouvé indigeste à la lecture.



De même. Je trouve certaines phrases foutrement maladroites, qui au lieu de donner la poésie voulue au texte, l'alourdissent un peu plus. La description initiale est trop appuyée à mon goût.
Je trouve la fin mieux écrite, même si j'aurais aimé que tu insistes plus sur l'effet qu'a la mort de la fille sur l'Allemand. Et au final, je pense que ton texte aurait plus de saveur s'il y avait un peu plus de suspense. En clair, il ne me touche pas, alors que c'est un sujet digne d'être exploité.

Enfin, je suis assez dure, mais je comprends que ça puisse plaire à d'autres.
Etoile de tissu. [ Texte ] 11/15 25/11/2009 à 17:31
Quelques remarques ça et là :
- Des fautes, surtout au début. Dommage, c'est un peu "désagréable". Enfin, je me comprend.
- Si elle est "sémillante", le héros devrait l'entendre plus facilement, non ?
- En temps de guerre, je ne pense pas que les champs soient vraiment en "jachère".
- "je le sentis à l'atmosphère que sa volupté, muée en une musique badine, vint alors alanguir". Je ne suis peut-être pas le seul à avoir buté ici. Il aurait été plus compréhensible de mettre "vint alors alanguir" avant "sa volupté"
- Le début me semble un peu confus. Ou alors c'est moi qui suis fatigué. Ils se rencontrent, puis le héros va se cacher, et finalement il lui prend la main ?
- "foudroyé par l'éclair d'une fausse conscience beaucoup trop refoulée". Une fausse conscience ? C'est plutôt une peur qu'il sait fondée, non ?
- "j'ai été lâche. J'ai été homme. Ou Allemand." Lâche = Homme / Allemand ? C'est probablement involontaire, mais certaines personnes pourraient mal interpréter ça... Wink
- +1 pour le suspens quand à la fin
- J'aurais préféré une coupure plus brutale entre la première partie, qui a un coté plutôt féérique, et la deuxième. Comme un brutal retour à la réalité.

Voilà, c'est loin d'être exhaustif, et j'ai surtout fait des remarques négatives, mais j'ai bien aimé certaines phrases en particulier.
Etoile de tissu. [ Texte ] 12/15 25/11/2009 à 21:22
Aloors ! En tout cas, c'est constructif Smile

- Alors, pour les fautes, je te demande de m'excuser ! Il était relativement tard, et j'ai omis de le retravailler davantage... Mea culpa !

- L'adjectif sémillant je l'ai employé pour l'aspect vif, alerte, léger et joyeux, pas quelque chose de sonore.. Mais ça peut porter à confusion Smile

- En tant de guerre, tous les champs n'étaient pas entièrement décimés par les obus Smile Par contre, ils n'étaient pas non plus tous entretenus, donc laissés en friche, en jachère...

- Je vois pas pourquoi le mettre avant "sa volupté", puisque ce que c'est justement la volupté qui vient alanguir et détendre l'atmosphère *-) J'ai encore trop joué sur les tournures de phrase !

- Le début, pour résumé, il est à l'ombre d'une botte de paille, elle est dans le champ, il entend son rire, il a tout de suite moins de charme, m'enfin ! x)

- Aloooors, après coup, j'admets bien que le terme de "peur" aurait pu être plus approprié... Pour la "fausse conscience", je l'entends comme s'il avait refoulé le fait d'être nazi, et qu'il s'aperçoit désormais que cette fille lui échappe totalement, malgré ça.

- Pour le "lâche", oui ça peut être mal pris une fois mis hors contexte, sauf que lorsque j'écris un tel texte, je me mets dans l'époque et mes propos ne sont pas à prendre comme étant ceux que je partage. Smile Sinon, je serais aussi bien nécrophile que pessimiste et tout ce que tu veux. x)

Voilà ! Smile Merci à toi en tous les cas !

ASG.
Etoile de tissu. [ Texte ] 13/15 27/11/2009 à 17:53
j'ai beaucoup apprécié. La première partie, la deuxième. L'atmosphère un peu flottante et impalpable. La structure est plutôt agréable, les phrases s'enchainent et les paragraphes sont courts, ça change un peu (j'ai lu précedemment des blocs assez indigestes)!

Sinon, contrairement à certains, je trouve que toute la finesse est dans le fait justement de ne pas trop insister sur le désespoir de l'homme, montrant son impuissance, sa douleur par l'écriture de plus en plus brève, lacunaire, à l'instar d'un coeur qui loupe des battements.

Pas besoin de faire encore plus dans le mélodrame.
Etoile de tissu. [ Texte ] 14/15 27/11/2009 à 18:06
J'aime l'opposition de l'atmosphère entre les deux partie, c'est un beau texte.

Ce que je trouve dommage, c'est qu'en lisant le début, tu connais déjà la fin..
Etoile de tissu. [ Texte ] 15/15 27/11/2009 à 18:52
J'aime beaucoup.

Par contre, en effet, j'ai deviné ( plus ou moins ) la fin très tôt, c'est dommage.
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