Je me souviens encore de tous ces bombardements éclatant dans ma tête et se fracassant sur la chaussée. Même si plusieurs décennies se sont écoulées, j’ai encore la sensation d’être restée enfermée là-bas, entre ces quatre murs de pierre. Peut-être que mon corps a survécu, mais mon âme et mon cœur ont péris depuis longtemps, sous les coups de feu de 1942.
Je me souviens encore de tous ces cris, de tous ces pleurs. Moi, je restais forte. Du haut de mes vingt-cinq ans, je marchais dans la rue en tentant de survivre à tous ces soldats allemands.
Tu oses les défier, tu meurs.
Tu les regardes trop longtemps, ils tirent.
Tu oublies de cacher ton brassard, ils t’humilient puis chargent leurs fusils.
Malgré ma peur grandissante, je sortais de mon refuge pour observer tout ce massacre. Non pas parce que ça me plaisait, mais bien parce que je voulais voir, connaître, comprendre. Je me disais que si jamais je sortais vivante de cette guerre, je pourrais raconter en détails tout ce qui s’est passé ces années là. Je pourrais décrire calmement l’extase qu’un coup de feu provoquait dans les yeux de ces soldats impitoyables. Ce n’était pas des hommes, bien loin de là. Ils n’étaient rien de plus que des chacals assoiffés de pouvoir et de sang.
Ils prenaient un tel plaisir à humilier, puis à tuer. Je me souviens encore de ce pauvre homme dansant nu au milieu de la rue. Il se refusait à pleurer devant cette armée d’allemands qui hurlaient de rire. Il se forçait à garder la tête haute, malgré l’horrible humiliation qu’ils lui faisaient vivre. Il croyait probablement qu’en se résignant à leurs ordres ignobles, son obéissance lui éviterait la mort. Quel irréfléchi! Il aurait pourtant dû se douter que rien ne fonctionnait ainsi.
Ils t’humilient puis chargent leurs fusils, rien de plus. Pauvre homme, quand même. Son inconscience lui a valu une mort des plus soumises.
C’est quand l’habituel coup de fusil a retentit et que j’ai vu un des miens s’écrouler sur le sol que j’ai compris. Je me battrai jusqu’au bout. Et si je meurs, ce sera fièrement. Ce sera en femme libre.
Je me souviens encore de chaque détail de mon combat, de chaque seconde de ma victoire. Je marchais dans cette prison noircit par la mort, et je ne tentais même pas d’éviter ces allemands.
J’avais caché mon brassard, et je m’étais arraché les cheveux avec mes propres mains. Il fallait que j’aie l’air le plus neutre possible.
Tu es un peu trop juif, tu meurs. Tu n’as pas la force de travailler jour et nuit, ils tirent. Pour ces soldats, ce n’était pas plus compliqué que ça. Pour nous, c’était d’une simplicité vomissante.
Je voyais les miens en train de sautiller ou de se faire marcher dessus, et j’entendais les rires dégueulasses de ces immondes bêtes. Pourtant, je ne m’arrêtais jamais. À quoi bon tenter de les aider, de toute façon? Le seul moyen de venger tous ces morts était de passer de l’autre côté de ces quatre murs de pierre. Le seul moyen de vaincre cette armée était de survivre à leurs coups de feu incessants.
Et puis, il ne me restait plus rien. On m’avait enlevé mon mari et ma fille. On m’avait même arraché des mains ma petite valise dans laquelle me restait les seuls souvenirs de ma famille. Et je savais que ceux que j’aime périssaient dans un endroit encore plus atroce que celui-ci. Un jeune homme m’avait dit que son père avait été tué dans un camp d’extermination. Il paraît que rendu là-bas, il est impossible de s’échapper. Ils te mettent en ligne et te classent en deux clans : Ceux qui peuvent être utiles et ceux qui ne valent rien. Pour ces premiers, travailler 18 heures par jour pour un morceau de pain deviendra leur unique but. Pour les autres, mourir dans une chambre à gaz sera leur condamnation.
Au début, je ne voulais même pas croire ce jeune homme. J’osais à peine le regarder dans les yeux, de peur d’y voir l’évidence. Pourtant, quand j’ai levé la tête vers lui et que j’ai aperçu l’horreur baignant son regard, j’ai compris qu’il ne mentait pas. L’armée allemande considérait vraiment les juifs comme de simples mouches noires, comme des insectes inutiles et encombrants qu’il fallait détruire au plus vite.
Je pensais connaître une grande partie des origines de cette guerre, mais je me suis bien vite rendue compte que j’avais conscience de très peu de choses. Ce jeune homme m’a appris que tous ceux un peu différents étaient condamnés à être prisonniers de l’armée allemande jusqu’à leur mort. Que ce soit les juifs, les handicapés, les homosexuels, les musulmans…Tous étaient voués à une fin de vie des plus horribles. Tout ces gens étaient considérés comme du bétail : On leur attribuait un numéro et on leur volait leur nom. Un nombre tatoué sur le bras devenait leur unique identité.
Me remémorant chaque mot de cette conversation, une colère palpable a envahit mes entrailles. Je n’avais qu’un seul désir : Cracher mon dégoût sur toutes les mains ayant enlevé la vie à mes amis, à ma famille, aux miens.
Je me souviens encore à quel point étrangler un de ces minables me rongeait intérieurement. À chaque fois qu’un coup de fusil transperçait le ciel, mon poing souhaitait battre celui qui l’avait provoqué. À chaque fois qu’un rire volait jusqu’à mes oreilles, mon pied désirait frapper celui qui l’avait prononcé.
On me disait de lancer mon brassard dans les flammes, de ranger mes origines dans un petit tiroir au fond de ma tête. Je n’ai jamais voulu.
Oui, je cachais mon ruban au creux de ma poche, mais jamais je n’aurais accepté de m’en débarrasser. Brûler ce brassard aurait donné raison à ces soldats. Faire mourir qui j’étais réellement m’aurait valu à coup sûr la défaite.
J’étais Juive, et je n’allais pas renier ce fait.
Ils m’ont vu, et j’ai vaincu.
Il y a eu plusieurs coups de feu, mais ils ne m’ont pas touché.
Pendant des années, je suis restée caché dans un grenier poussiéreux, priant à chaque fois que j’entendais un coup de fusil.
Puis un jour, plus rien. Les anglais sont arrivés. Ce jour là, tout était terminé. Je marchais dans la rue, et les minces sourires des survivants illuminaient la ville. Mais moi, je restais sur mes gardes, j’avais peur.
Oui, j’ai laissé les miens derrière moi, mais tous ces gens auraient fait comme moi.
J’ai réussi à me sauver, j’ai réussi à être libre.
J’ai eu raison de ces chacals, et j’ai vengé ma famille.
Mais encore aujourd’hui, ces dures années refusent de me quitter. Elles hantent mes pensées et peuplent mes nuits…
Peut-être que mon corps a survécu, mais mon âme et mon cœur ont péris depuis longtemps, sous les coups de feu de 1942…
Humains contre chacals. |
1/9 |
11/11/2007 à 23:03 |
Waouh. Incroyable
Humains contre chacals. |
2/9 |
11/11/2007 à 23:04 |
J'avoue.
Humains contre chacals. |
3/9 |
11/11/2007 à 23:06 |
Trés émouvant ..
Humains contre chacals. |
4/9 |
11/11/2007 à 23:09 |
Superbe
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5/9 |
12/11/2007 à 09:03 |
C'est habituel chez toi.
Toujours aussi talentueuse.
Humains contre chacals. |
6/9 |
12/11/2007 à 13:30 |
Oh merci, c'est gentil
D'autres avis? ^^.
Humains contre chacals. |
7/9 |
12/11/2007 à 13:32 |
pas mal , franchment bravo ^^
Humains contre chacals. |
8/9 |
12/11/2007 à 22:13 |
Mici
Humains contre chacals. |
9/9 |
14/11/2007 à 03:35 |
Up! =D