Valentine,
Les souvenirs ne me permettent plus, désormais, de porter l'ombre d'un visage sur ton prénom miellé. Et si le temps a pu être ma morphine; mon leurre; mon exutoire, il finit aujourd'hui en traître, ayant posé un sombre voile sur ton image, un point final à notre histoire.
Valentine j'ai voulu, à tort, à mon insu, combler ton vide par de l'oubli, dissimuler ton absence sous le déni. Tu n'étais que le fantasme de mes excès adolescents, la silhouette floue d'une femme à la fleur de ses vingts ans. Une créature de rêve, un démon, un mirage. Une illusion nocturne empreint de nostalgie, un amer vague à l'âme dont l'embrun fait naufrage.
J'ai appris dernièrement que je n'avais que quelques mois. À l'agonie, dans une chambre stérile qui sent l'éther, où il fait froid. Dieu seul sait d'ailleurs comme ça promet d'être court et sans fin à la fois ! Mais puisque j'ai déjà le sein lourd d'une tumeur qui lentement me tue, laisse moi alléger ma conscience et retrouver un semblant de vertu...
Je ne supporte plus, Valentine, ton fantôme qui hante ma tour d'ivoire terni; tes murmures qui bercent jusque la plus légère de mes nuits. Et je crève, Valentine, à l'idée que ton regard de braise sur mon échine ne soit plus que des cendres, que le sucré de ta poitrine ne soit plus qu'arrière goût.
Je crève à l'idée que tu ne sois plus rien alors que tu fus tout.
Et je n'ai, certes, pas les mots-clés pour entrebâiller la porte de ta vie; seulement j'ai eu ceux de ton cœur, et cela me suffit.
Nous vivions à une époque, Valentine, étouffée de non-dits qui doivent être confessés. L'étau des convenances nous étreignait de tabous, de pudeur, d'hypocrite retenue. L'amour était aux utopistes, le plaisir, aux catins. Valentine, en ce temps, le front t'avait volé ton Jules et, en ton sein, Paul se nichait timidement.
J'ai toujours eu, c'est vrai, du mal à le réaliser. La majorité à peine franchie que tu étais déjà seule, que tu étais déjà veuve ...! Je réprime un frisson. Parce que Veuve, c'était les tenus sobres, morbides et puritaines. Parce que Veuve, c'était la Mort lorsqu'elle nous avait déjà pris quelqu'un. Mais, Veuve, c'était aussi un rôle qui ne te correspondait pas et ta terre tournait sans cesse, quoique la dame en noir vienne l'obscurcir, quoique les cœurs de pierre viennent la freiner.
Rien, sur le chemin de ton Destin, ne t'empêchait d'y courir, d'y tomber, pour mieux te relever, et puis t'enfuir encore...
Te souviens-tu seulement, Valentine, de ces journées d'été à se perdre dans les champs ? À s'allonger sur les épis fauchés, à se cacher derrière les bottes de foins, à Vivre parmi ces cadavres de la moisson ? Le plus loin de la ferme, le plus loin du village. Du regard délateur qu'ils portaient sur ton ventre rond, des messes-basses suintant la pitié qu'ils jetaient tous sur ton passage.
Nous nous suffisions à nous-même, 'Tine, perdues dans les bosquets, à compter les nuages. En autarcie saphique et débridée, retenant la magie en otage, les coquelicots étaient notre crépuscule et les herbes hautes notre berceau. L'orée du bois en baldaquin nous étions l'écho perdu d'un rire que le vent souffle sur l'horizon, fait ricocher sur le lointain.
Et le mutisme préservant l'intimité, nous ne disions rien lorsque nos lèvres s'égaraient, que nos doigts s'entrelaçaient. Il n'y avait, en fait, strictement rien à dire. Les mots ne suffisaient plus et si le temps nous avait été donné, il aurait fallu en créer de nouveaux. Pour expliquer cette recherche de l'autre, dans la maladresse, le silence, la naïveté, pour courtiser tes charmes, retranscrire ta beauté. Pour inventer un monde et rattraper le temps.
Car si j'étais comme ta sœur, Valentine, tu étais mon premier amour. Et il m'aura fallu, tu vois, près d'un demi siècle pour nous l'avouer. Un demi siècle de perdu, oublié au coin d'une rue, au carrefour de nos vies, à la jonction de nos souvenirs. Cinquante ans que mes quelques mois ne rattraperont pas; que ma plume, en volant, n'attendra plus jamais.
Ma lettre en témoignage, Valentine, je voulais juste me sentir lue. Rien qu'une dernière fois, être déshabillée par ton regard, effleurée par tes doigts.
Sache que de toute ma vie je n'ai pu retrouver la chaleur de ton étreinte, la douceur de tes caresses. Pourtant, les yeux de Léandre étaient verts comme les tiens, la chevelure de Daniel était aussi noire que la tienne, les bras même de Robin étaient des plus berceurs.
À la différence, Valentine, qu'ils étaient des hommes et là tout était dit.
"Que les hommes me pardonnent de n'être faite que pour Elle, d'être comme un nuage qui recherche son ciel". Sois mon infini, mon azur, mon Éden.
Que la cambrure de tes reins soient la voûte de mes cieux et le galbe de tes seins quelque monts et merveilles. Que le marbre de ta peau soit la stèle de ma tombe et tes lèvres brûlantes mon linceul vermeil...
À nos péchés, à notre amour, à nos chimères et à Sappho, à Baudelaire,
Avons nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi !
Je frissonne de peur quand tu me dis : "Mon ange !"
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi...
Ta beauté frêle, ta Solange.
*
J'ai très mal exploité le fond. Je voulais quelque chose de moins lourd, plus subtil mais aussi plus poignant. En fait, l'idée m'est venue subitement, au cours de la nuit, après une écoute de Damien Saez dans sa reprise de Baudelaire et une relecture des Femmes Damnées. Seulement, j'ai pas su reconstruire le contexte très pudique de l'époque où les deux femmes ont vécu leur histoire d'amour lesbien ni celui d'une lettre d'adieu et ça m'a déçu.
Maintenant, j'ai peur de me pencher dessus davantage, au risque de totalement le modifier, de le bâcler, ou même de le laisser mourir au fond d'un dossier.
Alors je vous le livre, à vous et à votre critique !
Bien à vous,
Am Stram Gram.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
1/11 |
29/12/2008 à 20:45 |
En effet, c'est assez lourd.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
2/11 |
29/12/2008 à 20:50 |
Y a des passages avec une certaine musique, mais ils se font toujours cassés quelques lignes après par du lourd. C'est dommage.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
3/11 |
29/12/2008 à 20:54 |
Frosties a écrit :
En effet, c'est assez lourd.
Oui, et j'ai ce problème d'avoir toujours peur de faire léger. En fait, j'écris mes premières ébauches de façon spontanée donc naturellement moins lourde. Et puis, en les retapant ou en les relisant, j'ai sans cesse envie d'en rajouter, pour que ce soit plus expressif, moins fade et succinct.
Enfin, je ne retoucherai pas ce texte là, mais tenterais de m'améliorer dans les prochains.
ASG.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
4/11 |
29/12/2008 à 20:54 |
Lourd, nan. Juste magnifique, comme à ton habitude.
Les seuls textes auxquels j'accroche sont les tiens ; je ne sais pas pourquoi.
Il faut que je me suis sentis étrangement concerné, le faute au prénom sans doute.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
5/11 |
29/12/2008 à 20:56 |
Am Stram Gram a écrit :
Frosties a écrit :
En effet, c'est assez lourd.
Oui, et j'ai ce problème d'avoir toujours peur de faire léger. En fait, j'écris mes premières ébauches de façon spontanées donc naturellement moins lourdes, et puis, en les retapant, ou en les relisant, j'ai sans cesse envie d'en rajouter, pour que ce soit plus expressif, moins fade et succinct.
Enfin, je ne retoucherai pas ce texte là, mais tenterais de m'améliorer dans les prochains.
ASG.
C'est dommage parce que le thème était original.
Et puis ton style est bien aussi, mais c'est ces lourdeurs qui casse le rythme et qui empêchent la fluidité.
T'as pas du tout envie de le retravailler ?
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
6/11 |
29/12/2008 à 21:11 |
J'ai surtout peur d'en faire n'importe quoi.
Comme dit plus haut, de le négliger, d'en faire quelque chose d'encore plus terne et tellement travaillé que le style serait encore plus forcé qu'il ne l'est déjà.
Enfin, peut-être qu'une fois à tête reposée, je m'y remettrai...
ASG.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
7/11 |
30/12/2008 à 00:12 |
Je te fais donc cet effet là?
Ahem. x)
Je ne sais pas si c'est parce que ce texte est empli de mon prénom et d'autres prénoms qui font appel à certains de mes souvenirs, ou si c'est parce que j'ai une certaine admiration pour chacun de tes textes, mais moi, il me plaît. Il me parle, il me touche et il me fait battre le cœur.
C'est beau, je trouve, et j'aime ta façon d'écrire, décidément.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
8/11 |
30/12/2008 à 00:13 |
Uweyv a écrit :
Je te fais donc cet effet là?
Ahem. x)
Je ne sais pas si c'est parce que ce texte est empli de mon prénom et d'autres prénoms qui font appel à certains de mes souvenirs, ou si c'est parce que j'ai une certaine admiration pour chacun de tes textes, mais moi, il me plaît. Il me parle, il me touche et il me fait battre le cœur.
C'est beau, je trouve, et j'aime ta façon d'écrire, décidément.
Na, na, j't'explique. Elle est partie de Paul, et elle est arrivée à Valentine
.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
9/11 |
30/12/2008 à 00:25 |
Uweyv a écrit :
Je te fais donc cet effet là?
Ahem. x)
Je ne sais pas si c'est parce que ce texte est empli de mon prénom et d'autres prénoms qui font appel à certains de mes souvenirs, ou si c'est parce que j'ai une certaine admiration pour chacun de tes textes, mais moi, il me plaît. Il me parle, il me touche et il me fait battre le cœur.
C'est beau, je trouve, et j'aime ta façon d'écrire, décidément.
Groarw ! C'est ta faute ! T'as qu'à pas avoir un aussi beau prénom ! *-*
ASG.
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
10/11 |
30/12/2008 à 00:38 |
hooo mon poème préféré, je le trouve tellement parfait =D
"Et fuyez l'infini que vous portez en vous." |
11/11 |
30/12/2008 à 22:40 |
Je trouve tout cela magnifique. Rien à ajouter. =D