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Paul_ |
John |
37 |
14/05/08 à 13:51 |
Bonsoir, John.
J'étais debout, en face de lui. Je baissai légèrement les yeux pour le voir. C'est en repensant à tout ce que l'on avait partagé, qu'un sourire se dessina sur mes lèvres. Je me rappelais toutes les remarques cinglantes que subissaient ceux qui avaient la maladresse de lui rappeler sa taille. Il cachait derrière ces attaques un profond complexe, je crois. Il m'avait même dit un jour, où il était un peu mélancolique, qu'il n'était pas si facile d'être petit dans un monde si grand. Cette fois là, il était debout, en face de la fenêtre. Il regardait quelque chose, mais quoi, je ne sais pas.
Je décidai de continuer. Après tout, j'étais venu pour lui parler. Pour lui faire comprendre ce qu'il s'était passé. Même si j'avais beaucoup à dire, et même si je savais que cela serait difficile.
Je suis revenue, tu vois. Et je voudrais te dire quelque chose. Plusieurs choses, en fait. J'espère que tu ne m'en voudras pas, je pense que cela pourrait durer un moment. Car il y a tellement à dire …
Avant tout, je voudrais te demander quelque chose. Ce soir, ne me dis pas que je suis belle. Ne me souris même pas. Je crois que tu en as le droit, et je crois que cela sera plus facile pour moi si l'on fait comme cela. Alors s'il te plait, ne le fais pas. Même si tu as toujours aimé le faire. Ne le nie pas, je le sais. La première fois que tu m'as vue, tu me l'as dit. Oh, John. Tu t'en souviens ?
C'était dans un jardin. Moi, je m'en souviens. Un jardin comme celui-là. Et je marchais. Tu sais comment tu m'as dit que je marchais ? "Je suis sûr que tu marchais sans être là. Le regard dans le vague, en train de voir les yeux de ta mère derrière les fleurs, ou le visage de ton père dans les nuages. Déconnectée encore une fois de notre monde. Tu sais, tu aurais été un mec, je t'aurais appelée Casper. Ben oui. Un vrai fantôme. Tu sais plus ce que c'est de vivre, ma vieille."
Cela, tu me l'avais dit quelques mois après. Quand je t'avais demandé si tu te souvenais de notre première rencontre. Et je dois reconnaitre que tu n'étais pas loin de la vérité. Moi, j'aurais aimé dire qu'alors, tu étais arrivé pour me sauver sur ton cheval blanc. Et oui, on peut avoir trente ans, et rêver encore de contes de fées, de châteaux et de princes charmants.
Ce n'est pas comme cela que c'est arrivé, bien sûr. Ce n'est pas vraiment ton style. En fait, tu t'es écroulé à mes pieds. Ivre mort. Et moi, je t'ai contourné. A ce moment, tu as tourné la tête. Tu m'as vu. "Putain t'belle". Et tu as vomi. J'ai passé mon chemin, chassant de mon esprit l'ivrogne que je venai de croiser pour retourner vers mon univers.
Nous nous sommes revus quelques jours après. Je t'ai reconnu tout de suite. Tu étais venu voir Sandra. J'étais incrédule, devant le fait que ma colocataire et toi vous vous connaissiez. C'était une fille sage, Sandra. Elle venait d'avoir vingt ans. Elle étudiait la médecine, pour devenir dermatologue, plus tard. Elle sortait peu, et ne buvait jamais. Je n'aurai jamais cru qu'elle puisse avoir des gens comme toi dans ses relations.
Tu avais sonné à la porte, et demandé si Sandra était là. Vous deviez aller à un séminaire. Je suis allée la chercher. Toi, tu étais resté à la porte de l'appartement. Quand nous sommes revenues, tu étais encore là, en train d'attendre. J'avais l'impression que tu m'avais oubliée. Ce qui n'était guère étonnant, compte tenu des circonstances de notre rencontre. Et c'est en fermant la porte, que je t'ai entendu dire "T'es toujours aussi belle, toi, dis-moi …".
Tu m'avais énervée, alors. J'étais allée me faire cuire des pâtes. Le seul plat que j'ai jamais réussi. Mauvaise cuisinière, je sais. Tu me l'as assez dit. Et je m'étais installée devant la télévision, pour ne penser à rien, pour t'oublier, et oublier tout le reste.
Au loin, un oiseau se mit à chanter. Il me fit revenir à la réalité. Je quittai mes souvenirs pour un bref instant, revenant au monde réel. Du regard, j'essayai de le trouver, pour voir où il se cachait, et quel oiseau c'était. Bien sûr, je n'y arrivai. Je repris alors le cours de mes pensées, ne pouvant m'arrêter. Je devais terminer.
Le séminaire était assez éloigné de chez nous. Une centaine de kilomètres. En fait, tu étais venu dans la soirée. Vous deviez dormir à l'hôtel, voir le séminaire, et rentrer le lendemain. C'est à ce moment là que tu en as appris tant sur moi. Ma rupture d'avec celui qui avait partagé ma vie plusieurs années durant, trois ans auparavant. La mort de mes parents, une année plus tard. Comment j'avais trouvé Sandra, enfin comment elle m'avait trouvée. Dans la rue, complètement abattue. Il m'en a fallu, du temps, pour faire mon deuil. Elle t'a aussi parlé de ce que je faisais, et comment je vivais. Ou plutôt, comment je ne vivais pas. Parce que je n'arrivais à me remettre de rien. Et tu as découvert, je crois, à quel point je tenais à Sandra ce jour là.
Je pense que c'est pour ca que tu as compris à quel point la nouvelle m'a fait mal. Quand on a frappé à ma porte. J'ai vu l'uniforme. Je me suis demandée ce qu'il voulait. Il a ouvert la bouche, et a commencé à parler, à dire ce que je ne voulais pas entendre. Que vous aviez percuté une autre voiture qui roulait à contre-sens. Que le conducteur, c'est-à-dire toi, était hors de danger. Mais que l'autre passagère n'avait pas survécu.
Mon monde s'écroulait. Sandra, ma protectrice, n'était plus. J'étais allée à l'hôpital dans lequel on t'avait transféré. Je t'avais trouvé. Et j'avais hurlé. Je t'avais accusé et maudit. Oh, tu dois t'en rappeler, de cela, je crois. On m'avait fait sortir de force. Et on m'avait remise dans les bras de celle avec qui j'avais vécu si longtemps. La rue. J'avais erré. Je n'en pouvais plus. J'étais restée dehors pendant une semaine. Et j'étais rentrée.
Tu sais ce que j'ai vu, en arrivant ? Toi. Tu m'attendais sur le palier. Tu voulais me parler. Et je t'ai jeté dehors. La seule chose que tu as eu le temps de dire, c'est "Des larmes ne vont pas à de si beaux yeux, pourtant". Et la porte s'était refermée sur mon silence.
Cette période a été une des plus difficiles, évidemment. Un nouveau malheur s'abattait sur moi. Je croyais être maudite. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser à ce qui aurait pu se produire, si jamais Sandra avait survécu. Si vous étiez passés quelques minutes plus tôt, ou quelques minutes plus tard. Sandra aurait été encore avec moi, à me sourire et me soutenir.
Un jour, j'avais trouvé une lettre dans ma boite. C'était ta lettre. Tu m'avais écrit l'histoire de ma vie. Tu te rappelais de tout ce que Sandra t'avait dit. Cette lettre, je suis allée la brûler. Je ne voulais plus penser à toi, t'oublier totalement, et toi, tu revenais me hanter. Tu étais bien souvent présent parmi mes pensées, tu sais. Et jamais en bien.
Je m'arrêtai à nouveau. Trop de sentiments remontaient à la surface, trop de souvenirs. Bien que ne le regardant pas, j'avais l'impression de sentir le regard amusé de John sur mon crâne. Je respirai à fond, et repris le cours de mon histoire.
C'est alors que tu es venu. Encore une fois. Tu as sonné. Je t'ai reconnu par le judas, et j'ai refusé de te laisser entrer. Alors, tu t'es assis derrière la porte. Et tu as commencé à me parler. Un peu brutalement, peut être. Je ne me rappelle pas de tout, bien sûr. Tu en as tellement dit. Mais je m'en souviens un peu. "Ca ne ressemble à rien, ce que tu fais. T'existes pas, tu vis pas. T'es comme morte. T'es morte pour tes morts. Ca t'fait quoi, hein ? Tu pourrais pas vivre pour eux, plutôt ? Ca serait vachement plus les respecter. T'es en vie, eux ils sont morts. Alors tu pourrais au moins leur montrer que t'es heureuse d'être en vie. C'est normal d'être triste. Tu s'rais pas triste, j'me poserais des questions. J'me dirais probablement qu't'es qu'une enflure. Mais faut pas abuser non plus. Quand t'as vécu avec quelqu'un, tu dois juste te dire que vos chemins se sont croisés, et que c'était quelque chose de bien. Lui garder une place dans ton cœur, mais pas t'arrêter rien que pour lui. Tu sais, le monde t'acceptera pas. C'est toi qui dois accepter le monde. Point."
C'est comme ca que tu as fini ta tirade. Et voyant que je n'ouvrai pas, tu t'es levé, et tu es parti. Moi, j'étais derrière ma porte, en train de pleurer. En train de me dire que tu n'en savais rien, que tu n'avais pas souffert autant que moi. Et que j'avais le droit d'être comme j'étais, que c'était normal, que c'était même un devoir. Que la tristesse, ca ne se commandait pas. Et c'est là que tu m'as bluffée. J'ai ouvert la porte. Tu n'étais plus là, mais tu avais laissé un post-it, collé dessus. Je l'ai pris.
"Fausses excuses, et tu l'sais très bien. Arrête de t'plaindre."
Je t'ai détesté encore plus, à ce moment là. Car je savais que tu avais raison. Et que cela, je ne le voulais pas. Effectivement, je voulais rester encore enfermée dans mon univers de tristesse, de pleurs et de lamentations. Je ne voulais pas sourire, je ne voulais pas vivre. Et pourtant.
Et pourtant, en repassant devant la salle de bain, quelques jours plus tard, j'ai vu tous les produits de soin de Sandra. Les crèmes, le maquillage, les shampoings. Ce soir là, j'ai décidé de me faire belle. De me faire belle, belle pour elle. Je me suis habillée.
Mon agenda était ouvert à la page du jour. La semaine suivante, mon entreprise organisait une soirée. Elle avait été prévue depuis plusieurs mois. J'ai décidé d'y aller. D'y aller. Car en fin de compte, même à ce moment là, je me disais que peut-être, il y avait un peu de justesse dans tes paroles.
C'était la première fois que j'étais avec des gens pour d'autres raisons que le travail. Enfin, c'était du travail, en quelque sorte. Mais bon. Et oui, ca m'a fait du bien. De penser à autre chose, de me libérer. De casser les chaines dont je m'étais moi-même entourée. C'est ainsi que j'ai recommencé à avoir une vie. A sortir un peu. A retrouver d'anciens amis, à en rencontrer de nouveaux. A aimer. A vivre, et à pleurer, aussi. Tu me l'avais dit aussi, ceci. "C'est en pleurant qu'on apprend à sourire." Mais bien sûr, il faut aussi s'entrainer à sourire, de temps en temps.
C'était dit. J'avais enfin reconnu devant lui qu'il avait eu raison, qu'il m'avait dit ce qu'il fallait que je fasse. Que je m'étais enfoncée dans mon malheur, et bien plus que ce que je n'aurais du. Tellement de temps s'était écoulé avant que je n'ose lui faire cet aveu …
C'est dans un bar que je t'ai recroisé. J'étais terriblement gênée, je m'en souviens bien. Toi, tu étais fier, évidemment. Je t'avais demandé si tu te rappelais de la première fois que tu m'avais vue. Tu avais un sourire magnifique. Et aussi, tu m'avais dit : "Je le pensais déjà avant, mais maintenant, je le sais. Le sourire te va bien mieux que des larmes."
Tu t'étais absenté. J'ai parlé à la fille avec qui tu étais venu. Elle était un peu ivre. Je crois que c'est pour ca qu'elle m'a parlé si facilement de toi. De ton sourire que l'on voyait tellement souvent. Et de ton cancer. Cela m'a fait drôle quand j'ai su ca. D'apprendre que je n'étais pas la seule à souffrir, que bien des gens avaient des problèmes de leur propre côté. Et qu'ils savaient garder leur sourire. J'ai du partir avant ton retour. Mais j'avais décidé de te dire mon "merci". Pour ce que tu avais fait. Et à cause de ton cancer, le plus rapidement possible.
A ce moment, je levai les yeux vers le ciel. C'était une belle soirée de printemps. Le soleil se couchait et illuminait les nuages de nuances rouges et roses. Une larme perla à mon œil, que je rattrapai. Il faisait si calme. Autour de moi, plusieurs personnes étaient murées dans leur silence, dans leur univers. C'était une de ces soirées qui font apprécier la vie. Je me retournai vers John.
C'est pour ca que je suis là, ce soir. J'ai déjà essayé tant de fois, à chaque fois que je te voyais, pendant deux longs mois. Mais il s'est passé ce que tu sais, il y a une semaine. C'est cela qui m'a fait venir. Alors, John, je veux te remercier. Te remercier de m'avoir ouvert les yeux, de m'avoir montré le chemin, de m'avoir montré la vie. De m'avoir libérée. De m'avoir fait sentir vivante et heureuse comme jamais, aimante et libre.
C'était fini. Je lui avais tout dit. Et c'était comme si je m'étais libérée, comme si quelque chose en moi venait de se terminer. La page était enfin écrite, et tournée. Restait à continuer à avancer.
Je jetai un dernier regard vers le soleil, pris une inspiration profonde, m'agenouillai. Et après avoir placé la fleur préférée de John sur sa tombe, un chrysanthème, je quittai le cimetière. Sans un regard en arrière, et plus libre que jamais.
John |
21/37 |
15/05/2008 à 03:17 |
C'est fou d'avoir un style aussi simple, bon enfant et fluide, mais de savoir tout même submerger le lecteur de sensations avec une grande justesse, de savoir le marquer avec intensité et émotions, de savoir le garder captif de bout en bout.
Je n'ai tenu compte de la longueur de ta nouvelle qu'après coup, tu m'as tellement emporté loin tout en évoquant des situations qui ne relèvent pas d'un imaginaire farfelu, des situations qui peuvent-être "quotidiennes", tout du moins plausibles dans la vie de tous les jours...
Comme le dit Hael, le fait qu'il n'y ai presque aucun lien fort entre les deux personnages, donne un aspect particulier au texte, un aspect qui véhicule autant d'originalité et de trouble que ceux de la chute.
Bref, chapeau bas et grande courbette,
Je n'oserai pas te dire "au plaisir de te relire prochainement", sachant que ça implique apparemment que tu ailles mal, mais soit, ce fût un plaisir de goûter ton talent avec les yeux, et je sauterai dessus dès que tu le partageras encore.
Am Stram Gram.
John |
22/37 |
15/05/2008 à 22:20 |
Merde ! J'avais commencer la lecture en me disant qu'avec sa longueur je n'arriverais pas au bout , mais en fait c'est tout le contraire , j'ai tout lu d'une traite , arrivé au bout on en redemande, c'est vraiment très bien écrit je trouve , Bravo , j'ai hâte de lire d'autres de tes textes ...
John |
23/37 |
15/05/2008 à 22:28 |
wahou chapeau !!
j'adhère.
MGC
John |
24/37 |
15/05/2008 à 23:20 |
Ho, j'aime bien. Assez particulier et c'est ce qui me plais d'ailleurs. ça sort du lot.
John |
25/37 |
18/05/2008 à 14:38 |
Décidément, les nouvelles lentes et sentimentales ne me plairont jamais...
John |
26/37 |
18/05/2008 à 15:04 |
J'ai eu la merveilleuse idée de lire la fin en premier >
John |
27/37 |
03/11/2008 à 15:23 |
ATchup
John |
28/37 |
03/11/2008 à 15:39 |
C'est extrêmement long. Si ça aurait été court, ça aurait été baclé. x)
C'est très joli, très beau, très émouvant.
S'il n'y avait pas eu ma petite sœur qui chantait à tue-tête à côté de moi, j'en aurais sans doute pleuré. =)
Encore bravo.
John |
29/37 |
03/11/2008 à 18:04 |
S H O W B I Z a écrit :
ATchup
On dit Ketchup.
John |
30/37 |
03/11/2008 à 18:04 |
C'est John Deuf (jaune d'oeuf)
John |
31/37 |
03/11/2008 à 18:05 |
Le fils d'hilary deuf
John |
32/37 |
13/12/2008 à 21:58 |
La déprime te vas plutot bien... Même si je ne te souhaite absolument pas d'avoir le moral dans les chaussettes =)
En commençant à lire je n'avais pas regardé la longueur, j'ai juste lu jusqu'au bout sans me demander quand est ce que ça finirait... C'est simple mais ça fait passer pleins de choses en même temps. Nan, franchement, chapeau ...
John |
33/37 |
13/12/2008 à 22:01 |
C'est beau , je trouve . Bravo =) .
John |
34/37 |
13/12/2008 à 22:10 |
Tu m'as foutu les larmes aux yeux. C'est extraordinaire
John |
35/37 |
13/12/2008 à 22:49 |
Tout est dans la simplicité. J'aime
John |
36/37 |
14/02/2012 à 15:49 |
C'est beau
J'ai de la rancœur envers lui du fait de l'accident même si il a un cancer par contre. xD
John |
37/37 |
21/02/2012 à 20:54 |
bon j'y connais rien et j'suis une grosse conne alors mon avis vaux sûrement rien mais j'ai trouvé ça sublime.