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Candy Sage |
La Fête |
18 |
23/06/08 à 01:55 |
Maman finit pas son assiette. Elle a le trac, je le sais. Comme tous les ans, elle a pas dormi de la nuit. Je la comprends, moi non plus je pourrais pas, à sa place. Personne pourrait. Dehors, la fanfare fait un tintouin de l'autre monde, ça m'en fait mal à la tête. Faut qu'on se prépare, la fête a déjà commencé et faudrait pas que Maman se fasse attendre. Pendant que je débarrasse la table, elle se met de la poudre sur les joues et remet sa perruque en place. Elle sera la plus belle. Mais faut qu'on presse le pas. Arriver en retard à ce genre de cérémonies, ça pardonne pas.
Quand on arrive sur la place du village, c'est pas encore son tour. Y a des anciens combattants qui serrent des poignées de mains à tout-va pendant que tout le monde les félicite, y a Monsieur le maire qui s'agite dans tous les sens, comme à son habitude, il voudrait pas que la fête soit gâchée, ça serait dommage, les gens n'attendent que ça depuis des semaines. Y a des gosses qui jouent un peu partout, mais je les rejoins pas. Rien qu'à voir la façon dont ils m'ont zieuté quand je suis arrivé, je sais qu'aujourd'hui, c'est pas le jour, aujourd'hui je suis pas leur copain.
La fête bat son plein. Les gens dansent et boivent. Pas Maman. Elle, elle reste sagement assise dans son coin, attendant patiemment son tour d'entrer en scène. Et le voilà qui arrive.
Monsieur le maire fait placer une chaise devant le monument aux morts et Maman s'assoit dessus. Je me pose à côté d'elle, droit comme un «i». Le gros Marcel me fait un pied de nez, il perd rien pour attendre. Demain, après l'école, je me vengerais. Pendant qu'elle replie ses jupons, un murmure court dans le public, mais tout le monde se tait quand Georges, le barbier, arrive à nos côtés. C'est le début du spectacle. J'ôte la perruque de Maman et la fourre dans son sac à main que je pose à ses pieds. Ses vrais cheveux sont pas bien longs, mais ça n'a aucune importance. Georges sort son rasoir et fait mousser le savon. La fête commence. Les cheveux tombent par petites touffes. Bientôt, Maman se retrouve le crâne à l'air. Le barbier lui passe un coup de serviette dessus, et c'est parti.
Putain. Traîtresse. Collabo. Ça fuse dans tous les sens. Les femmes, surtout les veuves, fardées à l'excès en ce jour de fête, adopte le langage ordurier qu'elles abhorrent tant d'habitude. La vieille Michaud, qui a perdu tous ses fils, elle est déchaînée, et c'est la première à commencer à jeter des cailloux à Maman. Ma pauvre petite Maman qui a du mal à esquiver toutes les pierres qu'on lui balance dessus. Elle se met à détaler comme un lapin. On commence à s'en prendre à moi. Les vieux sont tous imbibés de la vinasse que distribuait Monsieur le maire, ils ont plus aucune limite. Voilà qu'on me fout à terre, qu'on me baffe, me déssape. Les gosses arrivent, avec des bouts de charbon dans les mains, qu'ils vont encore me foutre des insultes de partout sur le corps et que je vais avoir un mal de chien à les faire partir.
À l'autre bout de la place, ils ont aussi choppé Maman. Lui ont dessiné une espèce de croix sur le front. Le «symbole de la honte», qu'ils appellent ça. Ça veut dire qu'elle doit avoir honte. D'ailleurs, c'est le cas. Les gens finissent par nous foutre la paix. Maman se met à pleurer. Je lui remets sa perruque sur la tête et pendant qu'on rentre à la maison, j'essaye de la calmer. C'est pas vraiment de ta faute, Maman, si t'étais tombée amoureuse de l'Ennemi.
Mon premier texte sur ce sujet. J'avoue m'être pas mal inspirée de la nouvelle Anniveraire de François Cavanna
La Fête |
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23/06/2008 à 01:59 |
Waouh.
Texte très fort, très touchant.
Malgré l'innocence du petit garçon on arrive à savoir ce qu'il ressent en ces jours difficiles.
Bravo. =)
La Fête |
2/18 |
23/06/2008 à 02:03 |
J'aime beaucoup . Très bien écrit, "captivant"... et réaliste.
La Fête |
3/18 |
23/06/2008 à 02:03 |
Merci
La Fête |
4/18 |
23/06/2008 à 02:10 |
oui moi aussi je aime beaucoup !!
Bravo
La Fête |
5/18 |
23/06/2008 à 02:10 |
Putain.
J'aime, désolée de cette grossierté mais c'est le seul mot qui me vienne à l'esprit à cette heure tardive.
La Fête |
6/18 |
23/06/2008 à 09:27 |
J'aime beaucoup =)
La Fête |
7/18 |
23/06/2008 à 09:34 |
La Fête |
8/18 |
23/06/2008 à 11:04 |
Z'êtes choux
La Fête |
9/18 |
23/06/2008 à 11:18 |
Ce texte m'a... comment dire ? Mise mal à l'aise... touchée. limite "bouleversée".
Je n'arrive pas à exprimer ce que ça m' a fait.
Un tel est rarement traité qui plus est, de cette manière.
Très bon écrit.
La Fête |
10/18 |
23/06/2008 à 11:49 |
C'est bien écrit, mais j'trouve ça un peu glauque quand même.
La Fête |
11/18 |
23/06/2008 à 11:50 |
Tu exposes bien la violence de ton texte. Bravo
La Fête |
12/18 |
23/06/2008 à 11:50 |
Abricot Vert a écrit :
C'est bien écrit, mais j'trouve ça un peu glauque quand même.
Hum, c'est voulu, hein
La Fête |
13/18 |
23/06/2008 à 11:58 |
Ouais, ouais, j'sais bien, c'est le sujet qui veut ça.
La Fête |
14/18 |
23/06/2008 à 14:34 |
Pas mal.
La Fête |
15/18 |
23/06/2008 à 14:56 |
Effectivement, c'est bien glauque.
Mais j'aime beaucoup la façon d'écrire, de raconter. L'utilisation du point de vue de l'enfant.
Bref, j'aime.
Mistress
Qui attend toujours que le poids et la taille soient facultatifs sur les profils
La Fête |
16/18 |
27/06/2008 à 13:39 |
Je remonte ce topic, parce que ce texte est vraiment génial, écrit simplement, mais ça rend un super effet.
Bravo
La Fête |
17/18 |
29/06/2008 à 16:24 |
très touchant,franchement félicitation =)
La Fête |
18/18 |
29/06/2008 à 16:37 |
Merci les gens