[ Voilà, un petit texte, parce que ça fait longtemps que je n'avais pas posté. J'attends vos avis. ]
Ça n’était pas si simple. Je suis rentré chez moi, et j’ai laissé la lumière éteinte, pour penser dans le noir. Penser à ce que je leur dirai, penser à l’instant à venir. Je ne voulais pas penser plus loin que ça, penser à ma nouvelle vie, à leur nouvelle vie, aux larmes qu’ils verseraient, à leur regard sur les choses, qui à jamais serait différent. Je ne pensais qu’à ce que j’allai leur dire, pour leur expliquer, pour leur faire comprendre. Mais qu’y a-t-il à comprendre ? Y a-t-il véritablement un sens, une raison à toute cette vie qui fuit ? Et comment peut-on annoncer des choses pareilles, à des êtres aussi fragiles ?
Le papier, le crayon étaient déjà près, près à raconter la réalité des choses. Il fallait le raconter.
Alors j’ai saisi le crayon, j’ai allumé une petite lampe, j’ai écrit « Papa, maman, » et j’ai raconté. J’ai raconté ce que le médecin, dans son bureau blanc bien trop éclairé, qui vous fait plisser les yeux au début, et qui vous paraît anodin à la fin, m’a dit. J’ai raconté son regard fixé sur moi, gêné mais un peu curieux. J’ai raconté sa main qui, pendant qu’il m’annonçait l’innommable, griffonnait machinalement sur un bout de papier. J’ai raconté comment ses mots qui entraient en moi et qui lacéraient mon cœur, mon esprit, semblaient le quotidien pour lui, la routine. J’ai raconté comme j’ai pensé à tous les autres, tous ceux qui étaient passés dans ce petit bureau avant moi, et qui, dans la bouche de ce petit monsieur, ont appris leur petite destinée.
J’ai écrit, mot pour mot, le discours de cet homme.
« Ludovic, ça fait 6 mois maintenant, 6 mois qu’il n’y a aucun progrès et que votre maladie vous ronge chaque jour un petit peu plus. Nous nous sommes réunis, avec toute la petite équipe qui vous a suivi. Nous avons réfléchi, pronostiqué, et nous en avons déduit quelque chose de très important. Nous sommes à peu près sûrs maintenant, Ludovic, qu’il ne vous reste que quelques semaines à vivre. Bien sûr, nous continuerons le traitement, nous nous battrons, et vos jours en seront un peu allongés. Mais ce sera très minime. Nous le savons maintenant, c’est la fin. »
Je n’ai pas raconté à mes parents, qui m’ont fait, qui m’ont élevé, dans l’amour et la tendresse, qui m’ont regardé grandir, de leurs yeux protecteurs, je n’ai pas raconté la détresse, la haine, le hurlement, que j’ai retenus en moi. Je leur ai juste dit ma décision. Celle qui me semblait la plus humaine, la plus mortelle.
Je leur ai dit, « Papa, maman, je préfère vivre ma vie, aussi courte soit-elle, et la vivre à pleines mains, à pleine bouche, et découvrir tout ce que j’aurais pu connaître, plutôt que de l’allonger, dans un lit d’hôpital, et d’allonger avec elle le regard plaintif des infirmières, les paroles de pitié qu’elles prononceront tout bas, mais que j’entendrai, bien sûr. ». Je leur ai dit, comment j’ai quitté l’hôpital, dignement, comment j’ai serré la main du médecin, comment je l’ai remercié. D’avoir essayé.
Et j’ai fini ma lettre. « Papa, maman, merci pour tout, les mots n’ont pas assez d’étoffe pour vous remercier, pour vous chérir et vous aimer comme je le fais. Mais je pense que vous le devinez. Vous ne devez vous en vouloir de rien, ma vie a été parfaite, la plus parfaite possible, chaque minute de cette vie, vous l’avez rendue merveilleuse. Je vous remercie d’être venus, chaque jour, me regarder dormir, dans la chambre 712. Oui, les infirmières me l’ont dit. J’ai fait un choix douloureux, celui de ne pas venir vous voir une dernière fois. Ce sera trop dur pour moi, sans doute pour vous aussi. Je préfère que vous gardiez de bonnes images de moi, les images de l’espoir, les images d’un vivant. Je pars, visiter le monde, explorer les terres, faire du saut en parachute, faire de la voiture dans la forêt, vivre ma vie peut-être un peu plus pleinement que tous les autres vivants. Et avec un peu de chance, je mourrai d’un accident de voiture, et non d’une foutue et détestable maladie. Je vous aime, vivez la vie que l’on me prend, pour ne rien regretter ensuite. Je vous aime. Ludovic. »
Alors, j’ai cacheté l’enveloppe, je suis allé à la poste, et je l’ai envoyée. Je suis rentré chez moi, et toujours dans le noir, j’ai enfoncé la lame du poignard, préparé à l’avance, dans mon corps de mourant. Vivre pleinement, avec la pensée, chaque jour, que c’était peut-être le dernier, je n’en étais pas capable.
Leur dire que je m'en vais |
21/25 |
10/06/2008 à 21:02 |
Alors moi qui n'aime mais absolument pas lire , j'ai pris le temps je l'ai lu, et je le trouve tout simplement très beau
Leur dire que je m'en vais |
22/25 |
11/06/2008 à 06:41 |
j'adore
Leur dire que je m'en vais |
23/25 |
11/06/2008 à 10:15 |
Comme c'a deja ete dis plus haut j'le trouve magnifique, bouleversant. Bref, j'aime beaucoup.
J'en veux d'autre ! =D
Leur dire que je m'en vais |
24/25 |
11/06/2008 à 14:39 |
Ooh merci tout le monde pour ces nouveaux avis ! Vraiment, ça me fait super plaisir !
Leur dire que je m'en vais |
25/25 |
11/06/2008 à 22:25 |
Je suis venue te dire que je m'en vais
[ Le titre m'a tout de suite fait penser à ça ^^ ]
Mais sinon j'aime beaucoup ton texte, comme tous les autres