Moins de 18 ans
18 ans ou plus
Ary | Week end au milieu de nulle part. | 0 | 24/11/10 à 19:34 |
Vendredi 1er Octobre 2010. 22h12.
Me voici présentement dans une charmante maison cévenole implantée dans un village répondant au délicat nom de « Loves ». Ma chambre se trouve juste sous le toit. C'est une petite pièce où se trouve une mappemonde, une chaise blanche, une malle avec des livres, une petite étagère avec une lampe de chevet, et un matelas posé parterre en guise de lit, sur lequel je suis assise en ce moment même et où je passerai les deux nuits à venir. Nous sommes cinq résidents, soit deux locataires et trois invités.
Je suis arrivée ici vers six heures de l'après-midi, accompagnée par Papa et Maman. Nous prîmes le thé en compagnie de notre hôte, Sylvette, et fîmes quelques minutes après la connaissance de Bernard et Marie, eux aussi invités dans cette jolie petite maison cévenole. Papa et Maman repartirent vers sept heures.
Yves, le compagnon de Sylvette, arriva par la suite. Nous discutâmes tous ensemble, et prîmes le repas vers huit heures moins le quart. L'ambiance est excellente, l'accueil chaleureux. Sylvette et Yves doivent avoir une soixantaine d'années, Bernard la cinquantaine, et Marie la quarantaine. Vers dix heures, nous vaquâmes vers nos appartements respectifs. La journée de demain sera intense. Il ne faut pas veiller trop tard.
Demain matin, le sixième résident – quatrième invité – arrivera de bonne heure. Il s'appelle Pierre (encore un...). On le surnomme Pierre L'idéaliste. Il avoisine les cinquante ans, bien que, paraît-il, il ne les a pas encore. Nous serons donc six personnes à passer la nuit du samedi au dimanche dans cette charmante maison cévenole qui semble se transformer en auberge de jeunesse, ou maison pour stars, au choix.
Peut-être vous demandez-vous ce que six personnes de dix-huit à soixante ans peuvent bien avoir à faire le premier week-end d'octobre dans une petite maison cévenole, dans un minuscule village perdu au milieu de nulle part nommé « Loves », à l'heure où s'annonce une grève générale dans tout le pays ; ou encore quel point commun, moi – Ariane – je peux avoir avec ces personnes que je n'ai jamais vu de ma vie.
La réponse est simple : nous sommes tous Apaïstes, en d'autres termes, membres de l'APA (Association pour l'Autobiographie). Et demain va avoir lieu une conférence dans un luxueux château rénové depuis trois ou quatre ans, dans la petite commune du Vigan, à quelques minutes de Loves. Une Table Ronde sur les blogs. Pierre, moi et une troisième personne participerons au débat animé par Bernard. Marie est une amie de Bernard. Elle est malvoyante, elle écrit, elle archivera peut-être un jour à l'APA. Sylvette s'occupe de l'organisation. Yves était professeur de Lettres.
Voilà donc ce qui m'amène ici, dans cette charmante petite maison cévenole. Nous ne savons pas combien de personnes viendront. Peut-être une vingtaine, peut-être une cinquantaine. Une chose est sûre : je vais parler de moi et de mon blog en public. Cela me comble à la fois de joie et d'une légère appréhension.
Déjà vingt-trois heures. Peut-être serait-il tant que je me couche. Je ne dois pas me lever trop tard. Je vous raconterai la suite de ce périple demain. Je suis contente d'être ici. Je me sens en vacances, et même un peu starlette. Cela me plaît beaucoup.
Douce nuit.
Dimanche 3 Octobre 2010.
Sylvette me réveilla vers 9 heures 30, hier. Nous petit-déjeunâmes tous ensemble. Encore une fois, je pris un thé à la bergamote. L'ami Pierre arriva vers 10 heures 30. Nous nous promenâmes au marché du Vigan, avant d'aller déjeuner chez des personnes que je ne connaissais évidemment pas, dans un appartement extraordinairement chic. Je me senti presque aristocrate.
En guise de digestif, je pris un thé pour la troisième fois. Du thé vert.
Nous devions être une douzaine de personnes autour de la table, dont la moyenne d'âge devait tourner à soixante ans. Je fis la connaissance de Laurence, la jeune femme qui parlerait aussi à la conférence.
Vers deux heures, nous nous rendîmes au château d'Assas. J'attendis silencieusement pendant que Bernard et d'autres s'occupaient de mettre les chaises et de faire fonctionner la connexion internet. Nous étions dans une salle de taille moyenne, avec un écran pour projeter nos blogs.
Nous commençâmes la Table Ronde vers trois heures dix. L'assemblée devait contenir environ trente personnes, dont la moyenne d'âge devait aussi être de soixante ans.
Moi, j'étais assise sur une table rectangulaire, face au public, aux côtés de Laurence, Pierre et Bernard. Bernard fit une présentation générale des blogs, en illustrant ses propos en montrant des pages de blogs. Les gens avaient l'air intéressés.
Laurence commença en premier à parler de son « Biblioblog ». Cela dura environ dix minutes. Pendant ce temps-là, je réfléchissais à ce que je pourrais bien dire sur mon blog. Voyons voir... Eh bien, j'écris. Que dire de plus ? Je m'alarmais en silence. Je n'avais strictement rien préparé à l'avance.
Puis vint mon tour.
« Cela fait cinq ans que j'écris, j'ai 18 ans à l'heure actuelle, j'ai commencé ce blog à 13 ans. J'écris particulièrement des introspections autour de ma vie, autour de ce que je vis ; des réflexions avec une dimension plus ou moins philosophique, psychologique, spirituelle, littéraire... J'y confie mes rêves, mes peurs, mes ambitions, ma vision du monde et des choses. La taille de mes textes peut varier de deux à quinze pages. »
Je montrai brièvement la première et la dernière page de mon blog en même temps que je parlais.
Un silence.
« ...C'est le roman de ma vie », repris-je un peu gênée, ne sachant trop que dire après seulement deux minutes d'intervention.
Bernard rattrapa le coup en me posant une question à laquelle je répondis, et d'autres personnes du public firent de même. Je pense avoir plutôt bien répondu.
Puis se fut autour de Pierre de parler de son blog. Les gens posèrent aussi des questions, et le débat général sur les blogs s'enchaîna. Les thèmes tournèrent autour des rencontres entre les personnes : peut-être plus « authentiques » que les rencontres dans la réalité, autour du rapport virtuel/réel dans la communication, etc. Il y avait un dialogue entre nous, intervenants, et le public.
A un moment, Bernard évoqua le fait qu'Internet facilitait les rencontres et la communication entre des personnes qui ne se connaissaient pas, en opposant l'idée que dans la vie réelle les gens en général n'allaient pas aborder une personne au hasard dans la rue pour discuter avec elle (chose qui pourtant se fait sur Internet, à peu de choses près). Je souris intérieurement, n'osant pas lui répondre que c'était une chose tout à fait envisageable.
Le débat se clôt vers cinq heures. Un homme qui avait vécu très longtemps à la rue vint me parler. Il écrivait des poèmes et des romans. La façon dont il s'exprimait et le contenu de ses idées laissaient à désirer, mais on sentait pourtant que quelque chose de prenant l'habitait. Il se disait poète maudit. Il me demanda s'il pouvait m'envoyer ses textes par mail. Derrière lui, Laurence me faisait de grands gestes pour me faire comprendre de refuser. Je lui ai laissé ma carte de visite. Cette rencontre était pour le moins étonnante.
Nous bavardâmes avec les personnes restantes, autour de l'exposition sur Ariane Grimm. Je pu alors converser avec un homme paranoïaque, un baroudeur en mal de reconnaissance, et une jeune femme scout. Intéressant.
Vers six heures, nous quittâmes le château d'Assas. Nous nous rendîmes dans un endroit où la vue valait le détour (je ne me souviens plus le nom). Il se mit à pleuvoir un peu, et Pierre nous reconduisit à la maison de Sylvette.
Nous nous assîmes tous les six dans le salon, discutant du succès certain de la conférence, et d'une multitude d'autres choses.
Nous mangeâmes ensuite. Vers dix heures, nous étions encore à table. A discuter. Je tombais radicalement de sommeil.
Je ne pris pas le temps d'écrire en allant me coucher. Je montai les marches de l'échelle pour accéder à mon lit, et m'endormis aussitôt.
Le lendemain, autrement dit ce matin, Sylvette vint me réveiller à 10 heures. J'étais épuisée. Vers 11 heures 30, nous partîmes tous les cinq chez Yves. Sa maison est extraordinaire. Des livres partout, une architecture intérieure atypique, ancienne... quelque chose d'authentique.
Nous mangeâmes un peu. Vers 13 heures, Bernard, Marie et Pierre partirent. Nous nous dîmes tous au revoir, et je repartis dans la maison de Sylvette, avec Sylvette. Il pleuvait.
Je me mis alors à taper ce compte-rendu, en attendant que Papa et Maman viennent me chercher. Je ne suis pas rentré les mains vides : Yves m'a offert deux de ses livres, Sylvette son unique livre, Bernard deux numéros de la revue de l'APA (« la faute à Rousseau »), et l'Association des Amis du Château d'Assas un chèque de 128 euros (pour les frais d'essence).
Papa et Maman arrivèrent vers cinq heures moins le quart. Nous dîmes au revoir à Sylvette, au chat de Sylvette, aux Cévennes, et rentrâmes à Avignon.
J'aurais aimé que le retour en voiture ne s'arrête jamais, que la route Loves-Avignon soit un interminable chemin vers un monde nouveau. J'écoutais de la musique sur mon Ipod tout en angoissant à l'idée que je n'avais pas eu le temps d'ouvrir un cahier, ni d'apprendre mes leçons, ni de faire mes devoirs pour le lendemain, ni de réviser le contrôle de latin dont je ne connaissais rien (à ce propos, je crois avoir dit dans un précédent article que les cours de grammaire et de latin – qui déplaisent aux élèves – ne me déplairaient pas à moi : je retire formellement cette affirmation).
Vers dix-neuf heures, nous arrivâmes.
Et puis, plus rien.
Pourquoi le récit linéaire et laconique de ses trois journées ?
Pour la simple et bonne raison qu'il n'y eut « plus rien » au retour de ce week-end, à l'heure où je vous écris ces lignes. Au-delà de l'enrichissement que ce séjour m'a apporté, ne serait-ce que par les diverses rencontres que j'y ai faites, il y a quelque chose qui m'a profondément frappé.
Avant d'arriver là-bas, sur le chemin de l'allée Avignon-Loves, je me souviens avoir dit dans la voiture ; « Un jour, j'achèterai une maison à Loves et j'irai vivre là-bas ». Je ne plaisantais qu'à moitié. Je savais parfaitement que Loves était un petit patelin perdu au beau milieu de nulle part dans la nature sauvage, avec moins d'un habitant au kilomètre carré. Bref, un coin paumé, comme on dit.
Comme dans tous les endroits perdus au milieu de nulle part, il y avait quelque chose de très serein et de très calme qui se propageait dans toute l'atmosphère. Cela embaume l'esprit, le cœur, l'âme et le corps. On se sent curieusement bien. En paix avec soi-même, avec les autres. Avec la nature.
Je repense à Marie qui bientôt ne verra plus du tout ce monde. Ici, il y avait beaucoup à voir, mais beaucoup plus à ressentir. Sûrement, elle aussi, se serait-elle plu dans cette maison, dans cette ambiance bucolique où l'on donne aux sens le temps d'exister.
Les problèmes personnels semblent se dissoudre. On s'immerge dans la vie de quelqu'un d'autre le temps d'un week-end, et puis l'on regarde sa propre vie en parallèle avec celle que l'on nous donne à voir un instant.
Une question survient alors : De quoi se plaint-on ? La Vie, n'est-elle pas simplement devant nos yeux ?
Je suis repartie de cet endroit en me demandant ce que je fais ici. Ici, dans cette vie-là, étudiante en Lettres Modernes à la Faculté d'Avignon. A quoi cela rime t-il ? Je me sens lasse de l'école, et je m'interroge ; pourquoi n'ai-je pas eu le courage de suivre le plan A de mon projet de vie ? Pourquoi suis-je encore ici, là, dans un système qui m'épuise, dans un système qui ne me convient pas, qui ne me convient plus ?
Je suis une fille « scolaire », oui, évidemment ; je pourrais faire de très longues études, continuer à aller à l'école jusqu'à 26 ans. Oui, sans doute le pourrais-je.
J'arrive à un point où je me rends parfaitement compte que l'école en tant que système ne convient pas à mes attentes. Oh ! Serais-je donc en train de revenir à cette bonne vieille critique comme quoi l'école me fait perdre mon temps ? Non, je ne dirai pas les choses ainsi.
J'ai l'impression que le but de la Fac, surtout en Lettres, est uniquement de former de bons profs. Je ne dirai pas que les cours ne me plaisent pas, loin de là. Mais il y a beaucoup de matières purement « techniques » ou purement « culturelles ». Pour l'instant, je n'ai pas vu de littérature pure comme cela pouvait être le cas en Terminale. A aucun moment je n'ai ressenti de la passion dans les mots de nos enseignants. C'est intéressant, oui. Cela s'arrête là.
Vous voyez ce dont je veux parler. Il manque la flamme. L'émotion. Le génie. La grâce. Quelque chose qui donnerait au digne nom de « Fac de Lettres Modernes » toute sa puissance exaltante, salvatrice et constructive. Que l'on comprenne que ce sont des esprits libres que l'on souhaite y former et non des esprits formatés par un enseignement qui, je le crains, se veut trop souvent formaté lui aussi.
Qu'est-ce que la littérature ? Qu'est-ce qu'enseigner la Littérature ? Beaucoup de théorie pragmatique et de techniques de constructions et de déconstructions de mots, de phrases et de textes ? Ou à l'inverse, la découverte et l'apprentissage d'idées et du sens de livres qui se voudraient les clés précieuses de la compréhension des mœurs et du monde dans lequel nous vivons et avons toujours vécu ?
Je m'imagine moi aussi dans cet hameau perdu au beau milieu de nulle part, entièrement coupée d'un monde où l'on ne ferait qu'attendre et d'un autre où l'on ne s'empresseraient qu'à courir après le temps ; je m'imagine au beau milieu de nulle part, lisant ces mille et un livres que je n'ai jamais lus, regardant ces mille et un films que je n'ai jamais vus ; observant le monde et la nature ; farouche, vivante, discrètement ambitieuse, me formant moi-même en vivant les choses pleinement ; libre de toute contrainte, libre de toute responsabilité envers un système qui cloisonne cruellement nos vies sans que nous ne prenions le temps de nous en rendre compte, libre de rythmer ma vie comme si des pages blanches seules pouvaient s'y inscrire simplement.
Que feriez-vous si vous étiez libre ? Si rien dans cette vie ne vous appelez ailleurs ? Iriez-vous à l'école tous les jours alors que quelque chose de plus libérateur et de plus grand vous attends peut-être ailleurs ? Iriez-vous vous enfermer dans une salle de classe à attendre la sonnerie alors qu'il fait si beau dehors ?
Les plus grands danseurs, les plus grands musiciens et les plus grands chanteurs consacrent entièrement leur vie à leur passion en s'inscrivant au conservatoire une fois le BAC en poche. Qu'en est-il des écrivains ? Ils poursuivent des études de Lettres. Oh ! Non pas que les études de Lettres me déplaisent, loin de là, mais je ressens quelque chose de plus fort ailleurs, quelque chose de plus « littéraire » ailleurs. Quelque chose de plus littéraire que les études de Lettres...
Quand on me demanda ce que je voulais faire après le Baccalauréat et que je m'aperçus que ma réponse à cette question – aussi sensée fut-elle – amusait les foules, je m'empressai de changer cette dernière en la remplaçant par « professeur ». Quel autre métier que celui-ci ? D'un point de vue concret, je ne voyais pas d'autres métiers plus nobles et plus intéressants que celui-ci qui puisse me correspondre. Comme tous les écrivains, je serai prof de Lettres. Voilà tout. C'était la règle du jeu.
Mais avais-je vraiment envie d'être prof de Lettres ?
L'idée de l'enseignement me renvoyait parfois à une vision inquiétante de la vie. Et si je finissais comme Pierre, mon cher « Père Spirituel » ? Des études, professeur pendant toute une vie, un mariage, un enfant, une maison, une voiture, quelques voyages, de l'écriture, quelques divertissements. Quelque chose de bien sage dont on fini par se lasser au point de chercher inexplicablement des échappatoires, aussi destructeurs puissent-ils être.
La première chose à laquelle j'ai pensé en rencontrant virtuellement Pierre pour la première fois il y a trois ans fut la chose suivante : Pourquoi n'avait-il pas changé le monde, lui qui était tellement « comme moi » ? Pourquoi est-ce qu'on ne parlait pas de lui, ne serait-ce qu'un peu ? Qu'avait-il fait de vraiment grand au cours de ses trente-deux années d'existence ?
Avait-il atteint la sagesse ? Le génie ? La foi ? La gloire ? Qu'avait-il atteint, après plus de trente années passées sur cette Terre ?
A cette question, il aurait sûrement répondu l'amour ; oui, évidemment, l'amour, ce que tout le monde recherche avec fougue au cours de sa vie. J'ai un tremblement en pensant à cela. En pensant au fait que Pierre eût pu arriver au bout d'une quête dont le saint graal serait l'Amour.
Non. C'est impossible. Cet homme là n'était pas heureux en amour. Comment pouvait-il l'être ? Quand on a enfin atteint ce que l'on convoite, on ne va pas chercher ailleurs une porte de sortie. Cela n'a pas de sens. On ne cherche plus à posséder autre chose puisque l'on possède déjà tout ce dont on a besoin. Les gens véritablement heureux vivent ainsi. Ils désirent tout ce dont ils possèdent.
J'ai un tremblement en pensant que Pierre eût pu miser le sens de son existence sur l'Amour, et qu'il fût déçu de ce même amour. Quel sens prend alors la moelle de son existence ? J'espère me tromper dans ces conclusions désarmantes.
Moi, je ne veux pas d'une vie où l'on ne cesserait d'attendre, où l'on ne cesserait de courir après le temps et après d'illusoires chimères pour enchanter une vie trop sage. J'aspire à quelque chose de beaucoup plus grand. De spirituellement plus fort. D'intellectuellement plus prenant. Je ne veux pas qu'un métier ponctue ma vie.
Pierre fut à mes yeux un modèle de vie pendant très longtemps. Il avait beau entrer dans les codes parfaits du schéma-type d'une vie normale, tout ce qui constituait sa personnalité m'apparaissait comme le témoin irréversible d'un anti-destin. Il était prof de maths, mais il n'avait rien d'un prof de maths si ce n'est la formation et le métier. Il était marié, mais il avait l'impudence, l'audace et le cynisme d'un Gainsbourg à son apogée. Sa vie était fixe, mais son imagination et ses rêveries le faisait voyager chaque jour jusqu'au bout du monde. Cet homme-là, aussi commun pouvait-il paraître, transparaissait l'extraordinaire.
Mais que faisait-il donc dans cette vie-là ? N'y avait-il pas erreur sur la vie attendue ? Pourquoi n'avait-il pas essayé de changer le monde ? Qu'est-ce que l'on écrirait sur les pages de sa vie ? Qu'attendait-il encore de son existence ? N'était-il pas lasse d'enseigner les mathématiques depuis 10 ans, lui qui était féru de littérature ? N'y avait-il pas quelque chose de plus vivant ailleurs ?
Je me rendis compte, au fil du temps, qu'il n'avait finalement rien d'un modèle. J'avais presque honte, parfois, de voir qu'un homme aussi hors du commun puisse mener une vie aussi banale. Quelles étaient désormais ses ambitions ? En avait-il seulement encore, à part celle de « continuer » ?
Ma vie future, je la cauchemardais parfois comme la sienne. Des études, professeur pendant toute une vie, un mariage, un enfant, une maison, une voiture, quelques voyages, de l'écriture, quelques divertissements. Au fond, n'était-ce pas ce qui nous attendait tous si nous ne réagissions pas ? Et si, moi aussi, je me trompais de vie au point de devoir y trouver des échappatoires ?
Moi, je ne tomberai pas dans ce piège-là comme Pierre avait pu le faire.
L'enseignement m'intéressait, oui, évidemment. Mais pas sur toute une vie. J'avais été conçue pour écrire, et seule l'écriture aurait le droit de conditionner mon existence.
Il y a quelque chose de beaucoup plus grand à atteindre dans ce monde. Quelque chose que l'on ne peut pas trouver si l'on ne se sent pas entièrement libre. Avons-nous le droit de laisser un système choisir à notre place ?
Aujourd'hui, je suis lasse du système scolaire. Certaines personnes prônent que l'on a « toujours le choix », d'autres, à l'inverse, vous prononceront une phrase comme « nous n'avons pas toujours le choix ». Je pourrais tout arrêter si je le souhaitais. Prendre mes cliques et mes claques et partir vivre dans un hameau au fin fond des Cévennes pour écrire des livres, lire, faire du théâtre, rencontrer des personnes, vivre des choses extraordinaires, et pourquoi pas sur un coup de tête faire le tour de l'Europe en stop.
Le tour de l'Europe en stop. C'est ce qu'a fait Sylvette à ses 17 ans, seule avec sa petite sœur, dans les années 60. Une telle chose serait inconcevable aujourd'hui. Evolution des mœurs. Evolution des mentalités. Monde trop dangereux.
Tout arrêter, voilà bien aussi quelque chose de dangereux. Est-ce raisonnable ? Bien sûr que non. Existe-t-il un seul grand écrivain qui n'ait pas fait de brillantes études ? Je ne sais pas.
Le père de Sylvette était un poète maudit. Il rêvait de devenir un grand poète. Il n'a jamais atteint son but.
Je ne veux pas devenir comme ça. Combien de personnes sur cette Terre sombrent dans la folie après le plus grand échec de leur vie ? Combien de personnes n'osent tenter l'aventure de peur de s'écrouler comme une charogne asséchée ?
Peut-être ne deviendrai-je pas une brillante écrivaine aux yeux du monde, mais je me promets de prendre le risque de donner ma vie à cette discipline, même si elle fait de moi un génie incompris à la face de cette Terre.
Il est des jours où je me demande si je ne me suis pas un peu trahie. Cette promesse d'agir vraiment à mes 18 ans, qu'est-elle devenue ? Petite Ariane ne serait-elle pas en colère de se voir ainsi attendre la sonnerie avec impatience ?
A-t-on le droit de s'échapper d'un système qui nous enchaîne et qui pourtant à pour ambitions de nous libérer ? Que font les personnes de mon genre ? Partent-elles ? Restent-elles ? Que vivent-elles ?
Dans le petit hameau de Sylvette, je vis une étincelle de Vie comme on les croise parfois tout au bout de nos rêves les plus fous. Aujourd'hui, je suis une jeune fille qui attend patiemment dans une antichambre plus élaborée que la précédente.
Ne suis-je pas en train de me tromper de vie ? Faut-il fermer les yeux à cette simple idée, et continuer de continuer ?
Avez-vous une solution, vous qui derrière votre écran êtes sûrement aussi en train de « continuer » ?
N.B : Concernant le passage où je parle d'un dénommé "Pierre" dans les derniers paragraphes : voir article posté dans la rubrique "relations sentimentales" pour mieux comprendre.