Le texte en une seule fois, histoire de faciliter la lecture.
Andrew
« Mais lui c’est différent : il est né sur l’océan. C’est un grand capitaine, un amant monument… Tu t’es perdue dedans. » Camille
Avec le recul, j’ai compris pourquoi cette histoire m’avait hantée aussi longtemps. Les explications étaient nombreuses : la brièveté de l’aventure ne m’avait pas laissé le temps de remarquer les défauts d’Andrew ; son côté exotique, distingué, prestigieux ; le fait qu’il était plus ou moins tombé du ciel au moment où j’avais besoin d’un garçon comme lui, idéal contraire de celui qui m’avait brisé le cœur et m’avait fait douter de moi quelques jours plus tôt.
Mais peu importe que je puisse analyser tout ça si bien, je veux pouvoir me souvenir d’autre chose que ce que la raison me souffle. Je veux croire que, l’espace de quelques jours, j’avais trouvé celui qui me fallait, un esprit qui s’accordait au mien, un garçon qui pouvait séduire sans se faire aimer, un garçon à qui j’ai pu plaire tout en restant libre.
Notre premier contact, assez ironiquement, s’est établi sur Internet. Ironiquement parce que nous étions tous les deux plus cultivés et plus désuets que la majorité des jeunes de notre âge. À l’ère de Facebook et de la messagerie instantanée, nous aimions tous les deux lire et nous aventurions tous les deux parmi des auteurs classiques réputés ardus. J’aimais (et connaissais) la musique classique et le vieux jazz, il me parlait avec passion de Bruegel et allait dans les musées d’art pour son seul plaisir. Ou peut-être étions-nous simplement des adolescents prétentieux grisés d’appartenir à un certain milieu cultivé.
Ironiquement donc, il m’envoya un message sur un site de rencontres et de discussions pour adolescents auquel je participais pour passer le temps. Il m’expliqua ce qui le poussait à me contacter : il venait de débarquer à Bruxelles pour suivre son père qui devait prester un mandat de six mois au Parlement Européen. Pour des raisons familiales, il habitait dans un petit appartement place Fernand Coq, sans son père. Il ne connaissait personne sur Bruxelles et suivait des cours par correspondance. Sans aucun moyen de fréquenter des gens de son âge, il se sentait seul. La singularité de sa situation me plut et je lui répondis. Nous fixâmes un rendez-vous pour la semaine suivante.
Je n’eus pas vraiment le temps d’être impatiente. Le week-end précédant la rencontre, mon petit ami de longue date me quitta brutalement, douloureusement. Violent comme seuls les vrais timides peuvent l’être.
Le rendez-vous était un lundi, lendemain d’un week-end franchement horrible. J’étais enrhumée, à moitié aphone et j’essayais de croire que je n’avais pas envie de pleurer. Je songeai à annuler mais finis par me dire que ça me ferait du bien de rencontrer quelqu’un de nouveau.
Je ne sais pas si c’est quelque chose qui m’est particulier mais j’ai toujours du mal à regarder quelqu’un qui marche vers moi dans les yeux. Même si ça ne dure que quelques secondes, ça me gêne. Quand Andrew s’avança vers moi dans la librairie qui faisait aussi office de café où je l’attendais, je sus tout de suite que c’était lui mais je détournai les yeux, feignant de ne pas le reconnaître. Après tout, je n’avais vu qu’une seule photo de lui, c’était crédible.
Il s’assit à ma table et nous fîmes les présentations. Il ne me reste de lui qu’une image assez floue. Il était très mince, portait un costume et je ne le trouvai pas vraiment beau au premier abord. La première chose qu’il fit fut d’ailleurs s’excuser de sa tenue, expliquant que, comme il travaillait ses cours dans le bureau de son père, ce dernier tenait à ce qu’Andrew fût habillé « correctement ». C’était comique : j’avais l’impression de boire un chocolat chaud avec un de ces eurocrates que je croisais souvent (j’allais à l’école tout près du Parlement), un eurocrate de dix-sept ans. Je le lui fis remarquer. Il rit et dit :
- Mais ça a du bon, tu sais. Par exemple je me sens obligé de me tenir droit et d’être hyper poli quand je porte un costume.
Je souris.
- L’habit fait le moine ?
- Dans ce cas-ci, un peu, oui.
Nous parlâmes du boulot de son père que j’imaginais avec délectation dans les hautes sphères du pouvoir. Il me raconta Londres, ville dans laquelle il avait vécu une grande partie de son enfance, avant de retourner à Paris. J’évoquai brièvement ma rupture, à laquelle il réagit avec les condoléances d’usage. Il avait une conversation agréable et j’appréciai de pouvoir me changer les idées.
Marian, mon meilleur ami, m’appela la soirée qui suivit pour prendre de mes nouvelles. On parla surtout de mon ex et de la situation devenue franchement désagréable à l’école, suite à la rupture. Je me sentais privée de mes anciens repères, mon estomac se nouait chaque fois que je croisais mon ancien petit ami au détour d’un couloir… La conversation dériva sur celui qu’il appelait déjà « mon diplomate ».
- Et Andrew ?
- Quoi, Andrew ?
- Il te plait ?
- Oh non, je sais que c’est la première chose à laquelle on pense quand quelqu’un dit « rencontres sur Internet » (et à dire vrai, c’était aussi la première chose à laquelle moi j’avais pensé) mais non, je pense qu’il m’a vraiment contactée parce que c’était un des seuls moyens à sa disposition pour rencontrer des gens.
- Ça et se balader dans la rue avec une pancarte disant « Venez me parler ». Mais t’as pas répondu, il te plait ?
- J’ai autre chose en tête. Et puis… (Je me remémorai le visage du « diplomate ».) Non, il ne me plait pas vraiment mais il est de bonne compagnie, je le reverrais avec plaisir.
Andrew m’envoya un message le lendemain pour me proposer de l’accompagner à une séance de cinéma à l’intérieur même du Parlement le jeudi suivant. Le film ne me disait rien mais l’idée d’entrer dans le Parlement et de le visiter avec quelqu’un qui le connaissait de l’intérieur m’attira et j’acceptai.
Je rejoignis Andrew à la place du Luxembourg après le souper. Il me salua et m’entraîna à l’intérieur du grand bâtiment. Une employée maussade nous fit effectuer toute une série de formalités. Andrew dut signer un papier signifiant qu’il se portait garant de moi et moi faire de même avec une déclaration qui stipulait que non, je n’avais pas de casier judiciaire, que je n’avais pas d’intentions terroristes et autres précisions du genre. Ensuite, il fallait prendre une photo de moi afin de me confectionner un badge visiteur et passer sous un portique de détection.
Je souriais, amusée par l’incongruité de la situation : tout ça pour aller au cinéma ! C’était cette comédie-là que j’étais réellement venue voir : l’intérieur du bâtiment où les politiques prenaient leurs décisions, les mesures de sécurité, toutes ces choses-là. Je m’imaginais dans un de ces films où des groupes extrémistes infiltrent le siège des Nations Unies.
Andrew était ravi de mon intérêt et se montrait un guide diligent, m’indiquant les différentes infrastructures du Parlement et promettant qu’il me ferait visiter plus longuement après la séance.
Le cinéma d’auteur ne m’a jamais plu. Dans le meilleur des cas, je m’ennuie et dans le pire des cas, les mouvements de la caméra me rendent malade. Ce soir-là on était en plein dans la seconde possibilité. Après avoir rassemblé mon courage, je finis par demander à Andrew de sortir. Il s’exécuta rapidement et une fois dehors, me fit asseoir, prévenant.
- Ça va ?
- Ouais, ne t’inquiète pas. Ça m’arrive souvent, c’est l’un des mauvais gènes de ma mère. Il faut juste que je respire. On peut marcher un peu ? Tu me fais visiter ?
- Oui, bien sûr. Viens.
Le Parlement me faisait penser à un aéroport, en plus grand et plus luxueux. C’était une vraie ville dans la ville, dotée de tout le confort dont les employés et les députés pouvaient avoir besoin : salle de cinéma, salle de sport, chambres, restaurants… Andrew me montra aussi l’hémicycle, immense et en bois clair.
Tout était vide et silencieux, brillamment éclairé d’une lumière blanche. Les couloirs étaient immenses, aussi larges que longs, ou presque. Ça donnait une impression étrange, froide sans être effrayante.
Tout en marchant, nous parlions. Ou plutôt je parlais, m’ouvrais à Andrew de toute la douleur de ces derniers jours avec la confiance qu’on accorde qu’aux quasi inconnus. Je me sentais mal, je me sentais flouée.
- Le plus révoltant dans tout ça, lui dis-je, c’est qu’on ne peut obtenir toute cette tendresse et tout ce bonheur qu’en tombant amoureux. Tu vois, je voudrais juste pouvoir me coucher à côté d’un garçon dans un lit et le prendre dans les bras. Je ne te parle même pas de sexe, juste de cette tendresse-là. Ça ne peut arriver que quand on est amoureux, sans ça, c’est pas la même chose, c’est moins bien. Je trouve ça profondément injuste.
- C’est peut-être le cas pour toi. Moi je pense qu’on peut être très bien avec un partenaire qu’on aime pas, pour qui on a simplement de l’attirance et de la tendresse. C’est moins solennel mais plus léger. Ça peut être très agréable. Ni mieux, ni pire, juste différent.
- Ouais, je sais pas. J’ai pas des masses d’expériences non plus. La seule fois où j’ai couché avec un gars que j’aimais pas, ça m’a fait aucun effet. Même mon corps trouvait ça nul.
Andrew eut un sourire goguenard.
- Il était peut-être simplement pas très doué.
Je levai les yeux au ciel, cachant mal mon sourire.
Nos pas nous conduisirent dehors. Vus de l’extérieur, les bâtiments du Parlement étaient vraiment laids, tout de chrome et de ciment. Je grimaçai. Andrew le remarqua et m’emmena alors jusqu’à un petit parc tout proche doté d’un étang. On était fin septembre, les jours avaient déjà bien raccourci. Il faisait nuit.
Je levai la tête et observai le ciel. Les lumières de la ville nous empêchaient de voir beaucoup d’étoiles, mais j’en repérai tout de même quelques-unes.
- Tu connais les constellations ? me demanda mon compagnon.
- Un peu, soufflai-je en levant un bras pour lui indiquer. Là-bas, c’est Orion. Et là, l’étoile du Berger. On ne voit que les plus lumineuses, malheureusement.
Je croisai son regard. Il me sourit.
- On marche autour du lac ? proposa-t-il.
- C’est pas un lac, c’est un étang, répondis-je.
Il haussa les sourcils.
- Quelle est la différence ?
- Je ne sais pas trop. C’est juste une question de taille, je pense. Ou alors…
Je fus coupée en pleine explication. Assez brusquement, il m’avait prise dans ses bras. Je me raidis, mal à l’aise. Plusieurs pensées traversèrent mon esprit. Il me serrait fort. C’était désagréable. J’étais très surprise. Il ne me lâchait pas. J’étais interloquée. C’était gênant.
Puis, sans trop savoir ce que je faisais, je levai la tête et embrassai Andrew. Par la suite, je n’ai jamais pu déterminer si c’était parce que je ne voyais pas quoi faire d’autre ou si j’en avais simplement envie.
Quelques secondes plus tard, nous marchions main dans la main autour de l’étang qui n’était absolument pas un lac mais définitivement un étang. Je tombais tellement des nues que c’était le genre de pensées ineptes qui me passaient par la tête.
Le silence s’éternisait. Je cherchais désespérément quelque chose à dire. Il devait être en train de faire la même chose. Je pris une profonde respiration.
- Je cherche un truc intelligent à dire.
- Cherche bien, répondit-il, parce que ça manque là.
Encore un silence. Ma main dans la sienne. Quelques pas…
- T’as… t’as vraiment rien à dire ? balbutia-t-il. Parce qu’il s’est passé quelque chose là, tu vois ?
Je passai ma main libre dans mes cheveux, gênée. Je nous trouvais ridicules.
- Ramène-moi juste à l’arrêt de bus, s’il te plait.
- Tu crois pas que c’est quand même un peu vite ? Moi, j’aimais bien ce que tu me disais avant-hier, tu sais, arriver à être aussi heureuse quand t’es célibataire que quand t’es en couple. Ça me semble pas vraiment possible si tu te jettes à la tête d’Andrew.
J’étais avec mon ami Marian, pendant le temps de midi. J’avais eu une nouvelle altercation avec mon ancien boyfriend et il m’avait éloignée de la foule des élèves pour pouvoir me consoler au calme. Nous nous étions réfugiés dans une rue pas loin de l’école et nous discutions, assis sur un perron, pendant qu’il engloutissait un sandwich. Pour ma part, la dispute m’avait coupé l’appétit. Finalement, nous avions dérivé sur un sujet plus léger et je lui avais raconté mon aventure de la veille. La nuit m’avait fait revoir mon jugement. Je me sentais courtisée, appréciée, et ça me faisait du bien.
Je m’adossai plus lourdement contre la porte.
- Ouais… Ouais, je sais.
Il ne dit rien, attendant patiemment la suite.
- Je me suis pas vraiment jeté à sa tête, non plus. C’est plutôt lui qui m’a sauté dessus. J’avais rien fait pour l’encourager.
- Mets-lui un râteau, c’est le plus simple.
- Mais j’ai pas envie ! C’est vraiment flatteur, tu comprends ? Il m’a relancée ce matin par sms, et tout ça… Je sais bien ce que je t’ai dit mais avec un prétendant qui tombe du ciel comme ça, c’est dur de résister. (Je gloussai.) Je suis super fière, tu vois ?
- Je trouve ça bête, franchement. En plus il s’en va dans six mois ! C’est juste retarder la douleur.
- Mon histoire précédente a duré six mois, pas plus ! Il peut se passer n’importe quoi d’ici-là, c’est prématuré d’y penser dès maintenant, je trouve. Et puis je me sens mieux, tu vois. Ça m’aide.
La réticence de Marian ne faisait qu’augmenter mon envie de continuer à fréquenter Andrew, à la manière d’un petit enfant qui désobéit à ses parents par pure provocation. Il me connaissait assez bien pour le comprendre. Il me sourit.
- Personne ne pourra jamais t’empêcher de faire les conneries que t’as envie de faire, de toute façon, dit-il affectueusement.
À la sortie de l’école, je croisai mon ancien petit ami en train de discuter avec sa bande de copains. Il parlait et riait fort et j’eus l’impression que le volume de sa voix avait encore augmenté quand j’étais passée à côté de lui. Je le regardai quelques secondes en hésitant entre me jeter à son cou et le gifler. Je finis par détourner la tête, agacée. Je sortis mon gsm et, tout en marchant vers mon arrêt de bus, répondis au sms insistant d’Andrew (« Dis-moi quand je peux te revoir ! ») en lui proposant de me faire visiter son appartement le soir-même.
Appuyé contre un panneau d’affichage de l’horaire du métro, Andrew me regarda sortir de la rame en souriant. Je me sentis flattée de le rendre content. Il était habillé normalement, pour une fois. Il portait un jean délavé et un sweat-shirt de couleur pourpre. Je m’avançai vers lui. Il voulut m’embrasser mais, me sentant soudain très timide, je baissai les yeux. Il ne se laissa pas démonter et ses lèvres trouvèrent ma joue. Mignon.
- Ça fait bizarre de te voir habillé en jeune, lui dis-je.
- Comment tu me préfères ? me demanda-t-il.
Je haussai les sourcils. Pas mignon, charmeur, en fait.
- Je sais pas. C’est juste que ça te change.
J’aimais bien le côté d’Ixelles où son appartement était situé. Il se trouvait dans une rue débouchant sur la place Fernand Coq, tout près de Flagey. Quartier bobo branché par excellence que je ne fréquentais pas assez souvent à mon goût, mes amis préférant sortir au centre-ville.
Il habitait un tout petit trois-pièces un peu miteux. Enfin c’est ce que je pensais au premier abord en voyant la cuisine minuscule et le salon très impersonnel. La troisième pièce, la chambre à coucher, était plus sympathique. Une lumière douce éclairait un lit double qui faisait presque les dimensions de la petite chambre. L’édredon et les draps étaient d’une jolie couleur mauve foncée. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours aimé les parures de lit mauve. L’exiguïté de la pièce ajoutée à la grande taille du lit donnait une impression douillette, comme une sorte de nid. Caverne chaude et confortable. Je repérai un livre d’un auteur classique russe sur la table de chevet et un ordinateur portable de la marque Macintosh sur une chaise à côté du lit. Le même modèle que mon propre portable, coïncidence amusante.
Je m’assis sur le lit, près de lui. J’avais envie de câlins. Je m’allongeai, posant ma tête sur ses genoux. Il passa doucement sa main dans mes cheveux.
- T’as passé une bonne journée ?
Je grimaçai.
- Je me suis disputée avec ma mère avant de venir.
C’était vrai. J’étais partie en disant simplement que j’allais voir un ami, ne précisant ni l’endroit exact où j’allais, ni la personne que j’allais voir, attitude qu’elle n’avait que modérément appréciée.
- Ah bon ? Pourquoi ? demanda-t-il gentiment.
- Pour rien. Elle est juste méchante.
La puérilité de la réponse n’était qu’à moitié volontaire. Je souris à Andrew.
- Toi, t’es gentil.
- Mais oui, je suis gentil.
Il m’embrassa.
Ce qui s’ensuivit fut fort agréable. Andrew avait des gestes très doux, mesurés. Au bout de ce qui me sembla une heureuse éternité (ou bien un seul instant, selon le point de vue), la main gauche d’Andrew glissa le long de mon torse dévêtu et tâtonna au niveau de ma taille. J’attrapai son poignet et l’éloignai de mon jean.
- Arrête, s’il te plait, soufflai-je.
- D’accord. C’était juste une proposition. Je m’excuse, balbutia-t-il.
- T’as pas à t’excuser, y a pas de mal.
Il enfonça à moitié son visage dans son oreiller sans cesser de me regarder. Au bout de quelques secondes, il se redressa.
- Mais pourquoi ? demanda-t-il timidement.
Je me laissai retomber sur le lit et regardai le plafond. Que dire ? J’optai pour une demi-vérité, espérant qu’il comprendrait.
- C’est pas le bon moment pour moi.
Un ange passa. J’aurais dû choisir une formulation plus claire, maintenant il devait penser que j’allais lui sortir un discours larmoyant à propos de ma rupture.
- De quel point de vue ?
Là, je ne pus m’empêcher de rire.
- D’un point de vue physiologique.
Il grimaça d’une manière adorable. Je roulai sur lui et l’embrassai.
« La nuit, je mens, et effrontément ! J’ai dans les bottes des montagnes de questions où subsiste encore ton écho… » Bashung en tête, affalée sur un siège du bus de nuit, je me sentais bien. Je me remémorai les étreintes d’Andrew. J’avais l’impression de sentir les hormones déferler en cascade en moi. L’image n’est pas des plus poétiques mais il faut dire ce qui est et, même à l’époque, j’avais depuis longtemps cessé de croire que nos sensations étaient le seul fait de nos sentiments… Quoi qu’il en soit, simple réaction physiologique ou trouble moins superficiel que je ne tenais pas à analyser, c’était salement agréable et sans aucun doute addictif. Je contemplai mon sourire béat dans la vitre. Peu importe ma rupture finalement, peu importe que mon ancien petit ami soit sûrement en ce moment même en train de s’amuser à une fête quelconque, peu importe mes pleurs et sa brutalité, le bonheur que je ressentais à ce moment-là était amplement suffisant à me venger.
Le lendemain soir, on était samedi et je décidai d’aller avec des amis proches à un concert gratuit qui se donnait au centre-ville. Mes amis ayant invité leurs amis qui avaient également ramené leurs copains, ce fut un assez grand groupe de jeunes qui se dirigea vers la Grand-Place. J’ai toujours aimé traîner sur la Grand-Place. Je lui trouve beaucoup de charme bien qu’il soit quelque peu gâché par les hordes de touristes asiatiques qui prennent des photos et achètent du chocolat et que les cafés y pratiquent des tarifs hors de prix. La nuit, les lumières de l’éclairage public dessinent des ombres gigantesques et bleutées sur ses pavés irréguliers et je me sens toujours joyeuse quand on la traverse en bande pour rejoindre un bar situé dans une rue transversale. Cependant, il faisait très froid ce soir-là et le concert était mauvais (du moins à mon goût). Le groupe se sépara et ceux qui avaient trop froid ou qui ne supportaient pas la voix nasillarde du chanteur se dirigèrent vers la Porte Noire, un bar dont nous étions des habitués. Je me retrouvais donc avec une dizaine de métalleux, pour la plupart des amis de primaire, à boire de l’hydromel et fumer des cigarillos dans la salle souterraine et sombre de ce bar d’ambiance médiévale. Le hasard des envies de chacun avait fait de moi la seule fille assise autour de la table et je finis rapidement par trouver le temps long. J’aimais beaucoup tous ces garçons mais la plupart étaient aussi des amis de mon ex et ce soir-là, je ne trouvais rien à leur dire. Sirotant ma boisson, je les dévisageais tour à tour, détaillant leurs tignasses mal lavées, leurs barbes d’adolescents encore irrégulières, leurs jeans troués, leurs t-shirts arborant des logos de marques de bières ou de groupes de musiques obscurs. Je tirais une bouffée sur mon cigarillo. Non, je n’étais décidément pas d’humeur à apprécier leur compagnie. Andrew en costume avait quand même infiniment plus de classe.
Je sortis mon gsm et lui écrivis un message. Je n’avais pas eu de nouvelles de lui depuis la veille au soir et je ne lui en avais pas non plus donné. Je lui demandai comment il allait, ce qu’il faisait et lui dis que j’étais en soirée et que j’allais sans doute bientôt rentrer parce que je m’ennuyais. Sa réponse fut rapide : il était justement en train de m’écrire. Il me proposa de passer par chez lui plutôt que de rentrer directement chez moi. Le sourire aux lèvres, j’écrasai mon mégot et me levai de mon siège sous les regards étonnés de mes amis. Me sentant un peu coupable, je prétextai que mes parents m’avaient demandé de rentrer tôt et m’éclipsai.
Une heure plus tard, j’étais à nouveau entre les draps mauves, en train de fondre complètement dans les bras d’Andrew qui était visiblement très content de me voir. Quand nous fûmes fatigués de nous embrasser, je m’étendis de tout mon long contre lui, posant ma tête sur son torse.
Nous en vînmes, je ne sais comment, à parler de nos fantasmes.
- Moi je suis assez attirée par les hommes plus vieux, lui révélai-je.
Il rit.
- Je peux te présenter mon père si tu veux, c’est un sacré coureur.
- C’est vrai ?
- Oui. C’est pour ça que je n’habite pas avec lui, d’ailleurs. Ça m’est arrivé trop souvent de tomber sur sa conquête de la veille au petit-déjeuner.
Mes parents n’étaient pas divorcés et étaient fidèles, du moins pour ce que j’en savais. L’histoire d’Andrew me parut donc d’un exotisme très séduisant.
- Il est mignon ? lui demandai-je, avec un sourire suggestif.
Il m’infligea une petite tape sur le haut de crâne.
- Je plaisantais ! protesta-t-il, feignant d’être vexé.
Je m’esclaffai. En plus d’avoir les mains d’une douceur remarquable, Andrew était de très bonne compagnie. Compagnie que je devais malheureusement quitter.
- Il faut que j’y aille, il commence à se faire tard, dis-je sans pour autant me lever.
Andrew me serra plus fort contre lui.
- C’est bon, reste là, tu peux dormir ici, dit-il.
- Tu rigoles ? Mes parents me tueraient, ils savent même pas où je suis.
- ’M’en fous, grommela-t-il, la bouche enfouie dans mes cheveux. Il me serrait assez fort pour m’empêcher de me relever.
Je tentai de me dégager tout en lui expliquant :
- Tu vois, si je rate le dernier bus, ça veut dire que j’aurai découché sans prévenir. Et si je découche sans prévenir, mes parents vont me mettre à la rue, et je vais tomber dans la prostitution et la criminalité et, dans dix ans, je vais revenir te voir et…
- Et je vais me faire flinguer, termina-t-il à ma place en riant. Ça va, ça va, allez, va-t-en ! ajouta-t-il en me repoussant.
Je me mis debout et nous nous rhabillâmes le plus vite possible. Le chauffage de son appartement était en panne et, une fois sortis des couvertures, il faisait vraiment glacial.
Sur le chemin vers l’arrêt de bus, nous nous mîmes à parler de Madame Bovary. Nous nous accordions tous les deux à dire que ce livre aurait du être ennuyeux – puisque, après tout, il racontait l’histoire d’une femme qui s’ennuie – mais qu’il ne l’était pas parce qu’il avait quelque chose de spécial, que ni lui ni moi n’arrivions à définir.
- Je n’arrive pas bien à l’expliquer, mais quand on lit un classique, même si on n’aime pas, on comprend pourquoi c’est considéré comme un classique. L’esprit reconnaît la qualité, c’est presque instinctif, disait-il, s’exprimant avec passion.
Quel changement, pensai-je. Mon ancien petit ami grimaçait à la simple idée de lire un livre et avait pour unique culture celle de sa TV. Avec Andrew, j’avais enfin un réel interlocuteur. Je lui parlai de Nabokov et de son Ada qui étaient (et restent à ce jour) mes références absolues.
- C’est la seule histoire d’amour qui se termine bien sans être fleur bleue, qui dure toute la vie des protagonistes sans qu’on s’en lasse jamais, en restant toujours belle. Et puis, bordel, le style… Juste brillant.
Mon bus arriva, me coupant dans mon emphase. Je promis rapidement à Andrew de lui prêter mon exemplaire et l’embrassai avant de monter dans le véhicule. Il me fit un signe de la main alors que mon bus s’éloignait.
Couchés dans le lit aux draps mauve, nous nous taisions, l’un comme l’autre perdus dans nos pensées. On était le lendemain après-midi et j’avais à nouveau rendu visite à Andrew. Il avait les mains très douces et je n’avais jamais vraiment été une jeune fille raisonnable ; aussi, une chose en entrainant une autre, nous venions juste de coucher ensemble. Pour lui comme pour moi, « ce ne fut pas Waterloo, mais ce ne fut pas Arcole », comme le chantait un compatriote. C’était la première fois que je couchais avec un garçon qui avait eu d’autres filles avant moi. J’avais été un peu angoissée à cette idée mais finalement Andrew s’était révélé aussi maladroit et timide que n’importe quel garçon de son âge qui découvre une fille pour la première fois. Cela m’avait rassurée mais également un peu déçue.
Il se leva pour aller chercher un verre d’eau et je le détaillai de dos. Il était très mince, presque maigre, le genre de garçon à avoir meilleure allure habillé que dévêtu. Il revint, me tendit le verre en souriant puis se recoucha près de moi en passant un bras autour de mes hanches. Je me morigénai et m’obligeai à le jauger moins sévèrement. J’aimais bien ses cheveux qu’il avait noirs et abondants, par exemple. Ses caresses, aussi. Légères, presque des effleurements, cherchant à provoquer le plaisir par le frisson plutôt que par la simple stimulation. Et également la manière dont sa voix changeait de ton quand je posais les mains sur lui ou l’embrassais. Elle devenait rauque, sourde et son souffle se raccourcissait. Il changeait de personnage en fait, passant dans notre intimité du garçon calme et posé à quelqu’un de plus primaire, de moins contrôlé.
Il m’embrassa dans le cou. Je me récitai mentalement un passage d’Ada que je connaissais par cœur.
« Parmi les millions de couples brillants que l’on peut observer sur l’espace-temps, il se trouve un couple unique, couple surimpérial, destiné à devenir un objet de recherches, ou à être dépeint, mis en musique, aux fers, à la torture, ou même, mis à mort. » Couple surimpérial. Je soupirai, redevenant morose. Je n’en suis pas là, bien sûr, pensai-je, un peu amèrement.
C’était comme avoir mis en colère une bête sauvage. À ses yeux, il était bien sûr la victime et tout était ma faute. En le poussant à me quitter en plein milieu d’une fête, d’une manière aussi brusque, j’avais d’un seul coup monté toutes les personnes présentes (mes amis, pour la plupart) contre lui. Ma faute, ma très grande faute. Il n’avait rien voulu de tout ça. Même la décision de la rupture, il n’avait pas l’intention de la prendre, je l’y avais forcé, l’avais acculé de manière à ce qu’il n’ait plus aucun autre choix que celui de charger, détruisant tout sur son passage, moi en premier. Comment avais-je bien pu m’y prendre ? Je n’en savais fichtre rien.
J’attendis que mon ex-petit ami fût suffisamment loin avant de m’autoriser à sangloter. Je ne suis pas aussi passive d’habitude, mais lui, il croyait dur comme fer à sa paranoïa, au point de me faire douter moi-même de ma propre bonne foi. Je me sentais coupable, voilà tout. Et, si on pouvait vraiment appeler ça de l’amour, je l’aimais encore.
Je n’aime pas qu’on me voie pleurer. Je préfère de loin avoir l’air insensible, arrogante, ou n’avoir l’air de rien du tout et me cacher. Je me dirigeais donc vers un couloir peu fréquenté de l’école. Un garçon y mangeait son pique-nique.
- Marian !
Il fit un signe de tête dans ma direction. J’eus très envie de me jeter au cou de l’adorable garçon qui me servait de meilleur ami et de pleurer sur le col de son polo mais la vision de son dürüm dégoulinant de sauce barbecue modéra mes ardeurs.
- Je t’attendais. On vous a vus vous disputer de loin, dit-il avec une grimace compatissante. Tout le monde est un peu inquiet, les autres m’ont délégué.
J’ai des amis, constatai-je en m’asseyant près de lui, dos au mur.
- Tu veux aller les rejoindre ?
Je fis un signe de dénégation.
- Pas tout de suite, soufflai-je, la gorge serrée.
Il sortit un mouchoir.
- Arrête de pleurer maintenant. La fille qui laisse son ex lui crier dessus sans rien répondre et qui pleure après, c’est pas vraiment toi.
- On va dire qu’il sait jouer sur la corde sensible, dis-je en m’essuyant les yeux. Bordel, comment un garçon que j’aimais a pu finir par me détester autant ?
- J’en ai parlé avec les autres. De l’avis général, il était juste trop fragile émotionnellement parlant pour gérer une relation amoureuse avec qui que ce soit.
Je le regardai, avec un pauvre sourire.
- Le problème avec les gens qui vont complètement dans mon sens, c’est que je n’arrive jamais à vraiment les croire.
- Et si t’arrêtais de douter ? répondit-il en levant les yeux au ciel. De réfléchir, en règle générale, en fait.
Je hochai la tête. Il avait raison. J’eus soudain très envie de voir Andrew.
Il me présenta avec fierté au téléphone l’idée de me faire goûter à ce qui était devenu son menu habituel, les jours où son eurocrate de père ne l’emmenait pas dans un de ces restaurants chics que j’aurais adoré fréquenter. En d’autres termes, Andrew m’invitait à manger des pâtes et de la sauce toute faite chez lui le mercredi à midi. Je mis un petit moment à me repérer dans son quartier après être sortie de l’école mais je finis par retrouver son appartement. Quand il m’ouvrit, il était de nouveau en costume, mais complètement débraillé. Pas de veste, pas de blazer, juste un pantalon de costume noir et une chemise ouverte sur son torse nu, toute froissée là où elle aurait du être rentrée dans son pantalon. J’haussai un sourcil puis attrapai les deux pans de sa chemise et l’embrassai.
- Hello, boy.
- Hello, girl, répondit-il avec l’accent british, un peu moqueur.
Il s’effaça pour me laisser entrer. Je me glissai dans le corridor étroit jusqu’à la cuisine pour constater qu’il avait tenu sa promesse. De l’eau bouillait et un pot de sauce bolognaise traînait sur le minuscule plan de travail. Plan de travail qui, remarquai-je, allait aussi servir de table. Oui, cet appartement, c’était vraiment pas le grand luxe.
Je me tournai vers Andrew.
- Fin cordon bleu, dis-moi, le taquinai-je.
Il fit la moue.
- Embrasse-moi et cesse de critiquer, réclama-t-il.
Pendant que les pâtes cuisaient, nous parlâmes politique.
La politique a toujours tenu une place importante dans ma vie, surtout parce que mes parents avaient, chacun à leur manière, des convictions très marquées. J’aimais les considérer comme faisant partie de l’élite intellectuelle belge mais, là encore, je savais que ma vanité se plaisait à exagérer. Quoi qu’il en soit, j’étais à ce moment-là dans une période de doute et de refus d’adopter automatiquement les idées de mes parents, sans chercher plus loin. Aussi, discuter avec Andrew qui, par son père, fréquentait un milieu très différent du mien, m’intéressait beaucoup.
J’étais tombée en surfant sur le net sur des textes de Français traditionalistes militants pour le retour du roi, l’interdiction de l’avortement, la réhabilitation du maréchal Pétain (assurant que « (ses actions) avaient considérablement réduit les déportations de Juifs pendant la seconde guerre mondiale ») et tout un tas de déclarations péremptoires et rageuses. Je m’étais au départ bien amusée en lisant ce qui me semblait être un monceau d’idioties mais j’avais fini par douter. Comment pouvaient-ils être aussi convaincus de choses qui étaient, pour moi, non seulement fausses mais ridicules ? Mes convictions, si je les leur exposais, leurs sembleraient-elles aussi risibles que les leurs l’étaient pour moi ? Si tout le monde était convaincu d’avoir raison, qui avait tort ? J’avais toujours cru qu’il existait une vérité absolue sur chaque sujet, que même si l’on n’arrivait jamais à la connaître, elle existait. Je n’en étais plus si sûre.
J’expliquais tout ça à Andrew pendant qu’il touillait dans la casserole de sauce. Il avait complètement retiré sa chemise pour éviter de la tâcher.
- Non, souffla-t-il, la vérité n’existe pas.
Il avait répondu du tac au tac, le visage sérieux. Je me demandai brièvement ce qui se cachait derrière cette affirmation mais n’osai pas lui demander plus de détails.
Et donc, continuai-je, je m’étais interrogée sur l’origine de mes propres convictions. Au final, je me plaçais sur l’échiquier politique en y comprenant que ce que mes parents m’avaient expliqué, ce qui n’était pas une manière objective de m’informer. J’aurais du avoir aussi d’autres sources, opposées à eux. Je pouvais aussi tenter de leur arracher un peu plus d’objectivité. J’avais donc, d’une manière assez retorse, défié ma mère, gauchiste pure et dure, de me donner trois bonnes raisons de voter à droite. Elle s’était un peu énervée. Ce jour-là, j’avais réussi à la choquer, et ça n’arrivait pas souvent.
Je repris mon souffle. Andrew me regardait avec un sourire un peu tordu.
- Tu lui as vraiment demandé ça ? Trois bonnes raisons de voter à droite ?
Je hochai la tête.
Son sourire s’élargit, contaminant le mien.
- Et alors ? demandai-je, mi-figue, mi-raisin.
- Et alors, c’est vraiment très intelligent comme question.
Je ne dis rien, parce que les compliments passent toujours mieux quand on ne joue pas les faux modestes mais ça me fit vraiment plaisir. J’avais toujours considéré mes petits copains comme des garçons sympathiques, mais pas à mon niveau intellectuellement (vanité, toujours ! mais pas seulement…) Andrew, c’était une autre histoire. Un alter ego. Quant à savoir s’il était vraiment mon petit ami…
Il enchaîna. Pour sa part, bien qu’élevé dans un milieu plutôt libéral, si pas ultra-libéral, Andrew se positionnait plutôt à gauche parce qu’il s’était toujours senti plus proche des gens de son entourage qui se réclamaient de gauche.
Je soupirai. Il avait beau être en opposition avec les opinions de ses parents, ça ne le rendait pas plus objectif pour autant.
- Si la vérité n’existe pas, l’objectivité non plus, si ? me répondit-il.
Je fis la moue.
- C’est quand même possible de s’en approcher plus que ça.
Il me donna raison tout en égouttant les pâtes, et nous nous mîmes à table.
Il s’arrêta soudain, le visage à quelques centimètres du mien, me dévisageant. J’haletai. Je soutins son regard, sans rien dire. Entre ses draps mauve, il avait la grâce triste d’un acteur qui sort de son rôle en pleine représentation, perdant le contrôle de ses émotions. J’essayai de caler ma respiration sur le rythme de la sienne. Ma main glissa sur sa joue.
Il me sourit.
- T’es jolie.
Il avait la voix rauque, comme à chaque fois. J’avais le cœur serré, sans comprendre ce que je ressentais. Il m’embrassa doucement.
Le calme après la tempête. J’étais allongée sur le flanc, contre Andrew, une de mes mains enfouie dans ses cheveux, lui massant doucement la nuque. Il avait les yeux fermés, semblant aussi satisfait qu’un chaton ronronnant. Je ressentais pour lui une tendresse que je ne contenais qu’à grand-peine, me répétant que ce n’était sûrement qu’un effet secondaire des endorphines. Je me serrai contre lui, n’y tenant plus. Il émit un son à mi-chemin entre le gémissement et le grognement mais ne me rendit pas mon étreinte.
- Désolé si je suis pas très bavard, chuchota-t-il.
- Pas de problème, marmonnai-je, penaude.
Une pop star à la mode chantait dans ma chambre que « Sucking too hard on your lollipop, oooh, love’s gonna get you down ! » C’est déjà fait, pensai-je amèrement. L’amour m’avait blessée et ce n’était pas à cause d’Andrew.
Tout de même, cette histoire de relation sans réel engagement s’avérait plus compliquée que je le pensais. On se voyait « pour l’agrément » selon ma propre formule. Encore qu’on ne s’était jamais mis d’accord là-dessus, on n’en avait même jamais parlé. Me considérait-il comme sa petite amie ? J’avais l’orgueil de ne pas l’appeler par ce nom-là, mais ça n’était que des mots. Comment s’empêcher de s’attacher ? Et si j’étais triste, est-ce que je pouvais lui en parler ? Est-ce que ça l’ennuierait ? Est-ce que ça gâcherait « l’agrément » ?
On était le lundi suivant. Il était rentré à Paris ce week-end-là pour voir sa mère et sa sœur. On s’était donc donné rendez-vous le mardi midi en se quittant après notre après-midi « spaghettis, politique et draps mauve ». Je n’avais pas vraiment eu de nouvelles d’Andrew depuis et ça me contrariait plus que je ne l’aurais voulu. L’aspect un peu flou de notre relation, qui me plaisait tant au départ, me mettait maintenant mal à l’aise. J’avais envie de clarifier les choses, mais je ne savais pas vers quoi je voulais aller. J’attrapai un oreiller et me mis à le triturer nerveusement en me demandant que faire. J’avais froid, mais j’avais la flemme de me lever et d’aller chercher un pull, préférant me recroqueviller sur mon lit et me torturer l’esprit.
Je finis par me décider à l’appeler, sans savoir exactement ce que j’allais lui dire.
Je ne me sentis pas mieux en raccrochant le téléphone. Tout de suite après m’avoir saluée, il s’était excusé de ne pas pouvoir me parler plus longuement : il avait pris beaucoup de retard dans ses cours par correspondance et devait travailler. L’appel n’avait pas du durer plus d’une minute. J’allai me coucher avec la certitude de passer une mauvaise nuit mais néanmoins contente de le voir le lendemain. J’étais convaincue que mon malaise s’estomperait en sa présence.
J’avais été nerveuse toute la matinée précédant notre rendez-vous et cela m’agaçait. Après tout, il n’y avait vraiment pas de quoi m’angoisser. J’allais juste passer quelques heures avec un garçon que je fréquentais depuis deux semaines. Néanmoins, je ne sus pas où regarder quand il sortit du Parlement et s’avança vers moi.
- C’est peut-être mieux si tu m’embrasses pas, me dit-il en guise de salut. Je suis enrhumé.
- C’est vrai que t’as pas l’air bien, répondis-je, un peu douchée.
- J’ai mal dormi.
Nous marchâmes au hasard, sans parvenir à nous décider pour un snack ou un restaurant où prendre notre repas de midi.
Il était bizarre, peu chaleureux. Son regard n’avait pas encore croisé le mien depuis le début de notre entrevue. Ça me mettait de plus en plus mal à l’aise.
Je m’éclaircis la gorge.
- T’as vraiment l’air fatigué. Si tu rentrais chez toi, te reposer ?
- Non, c’est bon.
Il s’arrêta de marcher. Je me retournai et fixai son visage, à défaut de pouvoir capter son regard fuyant.
- En fait…
- Oui ?
- J’ai croisé une ancienne petite amie à Paris.
Nous y voilà, pensai-je. Je me raidis, prévoyant le choc. Il pouvait y aller aussi fort qu’il voulait, ça ne serait jamais comparable à ce que l’autre m’avait fait endurer, et par là même négligeable. Je resterais impassible. Tout de même… Deux fois en moins d’un mois ? Je fermai les yeux un instant et poussai un soupir. Il fit semblant de ne pas le remarquer.
Donc, continua-t-il, revoir son ex-petite amie lui avait fait « bizarre ». Ils étaient séparés d’un commun accord depuis un certain temps (qu’il ne prit pas la peine de me préciser). Il pensait qu’ils en avaient tous les deux eu assez, et il était le premier étonné de ce qu’il ressentait. Et ça l’étonnait encore plus que ça soit réciproque.
- … et je me sens vraiment perdu parce que, tu vois, elle est… (Il grimaça) … elle est pas très intelligente. J’ai beaucoup plus d’estime pour toi que pour elle.
C’est ça l’amour, pensai-je. Une force stupide qui te pousse à quitter quelqu’un qui te convient presque parfaitement pour quelqu’un que tu aimes. Je ne dis rien, dévisageant froidement Andrew.
Avec le recul, ce soir-là, j’eus un peu honte de ma réaction. Ce qui aurait dû le plus me gêner dans tout ça, c’est qu’Andrew rabaissait sa petite amie pour me quitter plus facilement, et pas autre chose. Mais passons.
Il avait l’air de se sentir sincèrement mal mais je ne fis rien pour le réconforter. Après tout, j’étais la victime. Il nous avait blessés, mon orgueil et moi. Pire que ça, j’étais sincèrement déçue. Nous échangeâmes encore quelques phrases pénibles et sans réelle importance. Je finis par le laisser là et allai prendre mon bus. Je me sentais en colère et agacée. Et aussi un peu vide, un peu fatiguée, comme quelqu’un qu’on a trop bousculé. J’avais l’impression que quelque chose d’important venait de me filer entre les doigts. Évidemment, je n’avais plus du tout faim.
Bien sûr, je me suis senti mal pendant quelques temps. Bien sûr, j’ai dû soigner mon ego blessé. Bien sûr qu’il m’a manqué, Andrew. Mais finalement, j’ai décidé que tout ça valait quand même le coup. Peu m’importe que les garçons finissent toujours par s’en aller, peu m’importe que ça fasse mal. Au nom de toutes les nouvelles rencontres, au nom des sentiments que j’éprouve quand j’embrasse pour la première fois un garçon qui me plait, au nom de ce monde merveilleux fait de gémissements et de peau nue que l’on découvre à tâtons et avec bonheur sous des couvertures, ça en vaut la peine.
Aucun départ, aucune déception, aucune blessure ne peut gâcher tout ça.
Je n’ai plus jamais revu Andrew.
Voilà, vous connaissez toute l’histoire. Je sais qu’elle est banale. Ce n’est pas une grande histoire d’amour, ce n’est pas l’idéal adolescent empli d’éternité. Mais, malgré une fin idiote (ne le sont-elles pas toutes ?), ces quelques jours ont été pour moi une sorte de long moment de grâce. Il n’était pourtant pas un héros de roman et je n’avais rien non plus de la muse d’un poète. La beauté de tout ça, c’était juste le timing. L’amant rêvé juste au moment où j’en avais besoin. C’était simplement ça. Il s’appelait Andrew.
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
1/12 |
05/09/2009 à 16:04 |
"Mais qui est cet homme, qui tombe de la tour ? Mais qui est cet homme, qui tombe des cieux ? Mais qui est cet homme, qui tombe amoureux ?"
Camille.
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
2/12 |
05/09/2009 à 16:15 |
ChOou a écrit :
"Mais qui est cet homme, qui tombe de la tour ? Mais qui est cet homme, qui tombe des cieux ? Mais qui est cet homme, qui tombe amoureux ?"
Camille.
Tout ce remontage pour ça? ^__^
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
3/12 |
05/09/2009 à 19:19 |
Désolée ... J'ai eu soudainement envie =X
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
4/12 |
05/09/2009 à 19:25 |
Tout ce remontage pour ça,
encore? Je plaisante, hein
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
5/12 |
05/09/2009 à 19:31 |
J'aime bien. Très franchement, j'aime bien. C'est tout.
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
6/12 |
05/09/2009 à 19:32 |
Joke Air a écrit :
J'aime bien. Très franchement, j'aime bien. C'est tout.
Tiens donc, merci =) Ce remontage n'était pas si inutile que ça finalement ;)
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
7/12 |
05/09/2009 à 19:33 |
Moi j'aime beaucoup !
C'est pas surfait, & c'est bienbien écrit
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
8/12 |
05/09/2009 à 19:33 |
J'ai pas lu.
Si je peux me permettre, ça serait pas mal de faire comme Scarlet, c'est-à-dire faire le teste en 3 parties et les posters sur 3 topics différents.
Parce que honnêtement, ça donne pas vraiment envie de lire.
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
9/12 |
05/09/2009 à 19:35 |
Guikass a écrit :
J'ai pas lu.
Si je peux me permettre, ça serait pas mal de faire comme Scarlet, c'est-à-dire faire le teste en 3 parties et les posters sur 3 topics différents.
Parce que honnêtement, ça donne pas vraiment envie de lire.
Aha
T'as pas suivi l'histoire... Cette nouvelle je l'ai postée en feuilleton sur un topic (ici: http://www.sortirensemble.com/histoire-terminee-202378_1.html). Quand j'ai eu fini j'ai juste corrigé le texte et je l'ai mis sur un seul topic, juste histoire d'avoir des archives qui ne soient pas dispersées en plusieurs posts...
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
10/12 |
05/09/2009 à 19:43 |
AH. Tu vois que mon remontage a eu du bon
Merci quiii ???
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
11/12 |
04/11/2009 à 20:26 |
Bin moi aussi j'ai eu le courage de le lire.
Et je me suis pas forcé.
Et je suis loin d'être mécontent.
J'aime bien le déroulement de l'histoire quoique j'aurai aimé un peu plus de tourments au début juste avant le câlin dans le ministère
Andrew [Nouvelle] (texte complet et corrigé) |
12/12 |
04/11/2009 à 20:36 |
Désolé du double post - je peux pas éditer et j'vais pas me priver d'autres remarques -
On distingue bien, les dialogues. Je veux dire que même si le décor n'est pas implanté de façon longuement décrite : " assez bref quoi, mais simple. Suffisant " et tout reste assez simple et clair.
On visualise bien les discutions. On se place bien dans la tête des deux personnages parce que justement on ( du moins, pour ma part ) arrive bien à s'adapter dans l'idée, la façon de ressentir des deux protagonistes.
Et ça reste tendre. Un peu triste. Délicat et quelque part fragile.
Les personnages sont humains, ressentent. Sont loin de ce qu'on pourrait définir d'une mise en scène pour rendre un texte attrayant non. Tout simplement le texte est de lui même attirant, les personnages évoluent en même temps que leurs sentiments.
J'aime beaucoup. Depuis le temps que je passais devant sans la lire en plus