Voilà. Nouvelle que j'avais proposée à un concours de SE qui hélas n'était jamais arrivé à terme.
J'ai récemment relu et retravaillé des passages de mon texte, et donc, pour les courageux, voilà ma nouvelle.
Bon, je me doute que personne la lira en entier, mais, au moins, comme ça, elle reviendra dans la "base de données" du site, vu qu'elle y était jadis.
En espérant que la mise en page passera.
Abaissant son couteau, l'homme en brun poussa un long soupir, entre la résignation et le remords. Une phrase, une seule, s'échappa de ses lèvres livides :
- Il fallait bien que quelqu'un le fasse..."
Mué. Pas joli à voir, en effet. Le pauvre Rantaux gît là, à mes pieds. On pourrait presque le croire endormi, mais le trou sanguinolent dans sa nuque n'est que trop visible. Tout autour, des meubles ont été renversés, des bibelots cassés, et le sol de la chambre est jonché d’un véritable capharnaüm de vêtements et autres effets personnels appartenant à Rantaux. Au vu de ce désordre et de ces évidentes traces de lutte, mon cerveau de flic, comme une vieille machine rouillée, me bricole aussitôt une déduction: j'ai ici affaire à un crime crapuleux.
D’autant plus que Rantaux, pseudo-dealer de son état, possédait chez lui des quantités considérables de cannabis, d’extasie, et autres petits plaisirs en sachet. Mais là, plus rien de tout ça. Pouf ! Envolées, les poudres de perlimpinpin ! Partis, cannabis, GHB et leurs amis ! De la multitude de drogues que possédait Rantaux, il ne reste que quelques gélules et deux-trois sachets par-ci par-là. La piste d’un cambriolage ou d'un règlement de compte s’impose donc d’elle-même, mais je préfère ne rien affirmer et rester dans le domaine du "peut-être que". Habitude de flic.
En regardant une dernière fois le corps de Rantaux, avant que des gendarmes ne l’envoient au labo, je ne peux m’empêcher de comparer son séjour à Lampaul au passage fulgurant d’une comète – intense mais éphémère – .
En effet, l’arrivée du lascar dans cette banlieue pavillonnaire bondée de retraités datait d’un mois tout au plus, mais ce court laps de temps lui avait largement suffi pour mettre en place son petit commerce de drogue. Un sachet de cannabis par-ci, un peu de LSD par-là, et voilà que ses magouilles prirent de l’ampleur, élargissant leur rayon d’action et débusquant de plus en plus de jeunes clients dans les alentours.
Le commissaire, Ferrière pour les intimes, voyait bien sûr d’un très mauvais œil toutes ces tribulations; en l’espace de quinze jours, Rantaux était passé de "petites embrouilles entre amis" à "entreprise en pleine expansion" – transformant par le même coup un quartier calme de vieillards en véritable repaire de junkie – . Afin de couper le mal à la racine, le commissaire avait alors décidé de m’envoyer illico chercher des preuves concrètes pour coincer Rantaux.
Je me suis donc attelé à la tâche, et, très vite, je me suis aperçu que nous n’avions affaire là qu’à un piètre amateur: transactions dans les squares, marchandise cachée dans des sacs de sport, j’en passe et des meilleures. En deux jours, j’avais assez d’éléments contre lui pour lui offrir un séjour de deux ans au moins en prison, et laissez-moi vous dire que je ne comptais pas me priver de ce plaisir – "Un bon criminel est un criminel en tôle.", telle est ma devise – . J’avais même prévu d’aller cueillir mon bonhomme aujourd’hui même, que toute cette histoire se termine vite, dans la joie et dans la bonne humeur.
Mais voilà. Il avait fallu que Rantaux se fasse trucider chez lui hier soir. Quelle guigne. Non pas que je pleure la mort d’une pourriture comme lui, mais j’aurais préféré le voir derrière les barreaux que six pieds sous terre. Simple question d’éthique. Je ragerais si cette enflure profitait d’un statut de martyr, alors qu’à mes yeux il ne vaut pas beaucoup mieux que son tueur.
Le pire dans cette histoire, c’est que j’aurais pu éviter ce meurtre que je maudis tant ; au moment du crime, j’étais en faction juste devant l’immeuble pour surveiller les allées et venues de Rantaux. Seulement, le dernier souvenir que je conserve à propos d’hier soir est la radio Jazz que j’écoutais vers 21h30, ma quatrième bière de la soirée à la main. Ensuite, plus rien. Autant dire le roupillon.
Ne me faites pas trop de reproches ; ayant réussi à récolter plus d’une vingtaine de preuves irréfutables contre Rantaux, cela ne servait plus à grand chose de le surveiller, si ? Il était fait comme un rat, et comme il ne se doutait de rien, il risquait pas de se faire la malle ! Je méritais bien une petite soirée Jazz-Heineken, quand même ! Et puis, comment j’étais censé deviner qu’il allait se faire descendre, hein ?
Quoiqu’il en soit, quand, ce matin, j’ai été réveillé par un appel du commissaire m’annonçant l’assassinat de mon petit protégé, autant vous dire que je suis tombé des nues ! Furieux, Ferrière m’a aussitôt confié l’affaire, prétextant que ce qui était arrivé était de ma faute, car je n’avais pas été capable de faire correctement mon boulot. En proie à une migraine violente, je me suis contenté de protester un peu, pour la forme, mais je me suis finalement résigné ; le fait est que le commissaire n’avait pas tout à fait tort.
Enfin bon, trouver le meurtrier de Rantaux ne devrait pas poser de problème particulier ; jusqu’ici, aucun des homicides que l’on m’a confiés n’est resté irrésolu. Tous les tueurs derrière lesquels j’ai courus sont actuellement en tôle – oui, tous ! Il faut dire que j’ai ma méthode. Rapide et infaillible. Je la garde bien entendu secrète ; il est trop facile de doubler un flic dont on connaît la façon d’opérer.
D’ailleurs, il serait peut-être temps de m’y mettre, à ma méthode. Ca prendra pas longtemps, de toute façon.
Tout d’abord, interroger le concierge.
C’est toujours lui qui en sait le plus et le dissimule le moins bien. Faut dire, à force de passer ses journées seul à laver les cages d’escalier, on s’ennuie vite. Aussi, quand la moindre compagnie nous est offerte, fût-elle celle d’un flic, on n’hésite pas à bavarder jusqu’à plus soif. Alors moi, forcément, j’en profite.
Et c’est donc persuadé d’être rapidement mis au courant de tous les ragots de l’immeuble que je frappe chez le concierge. Bientôt, la porte s’ouvre sur la silhouette ratatinée d’un vieil homme à l’aspect revêche. A peine ai-je le temps de dévisager mon interlocuteur que sa figure se teinte subitement d’effroi. Ses yeux se révulsent, il pâlit à vue d’œil, perd l’équilibre, titube un peu, manque même de tomber, mais se ressaisir soudain. Il se redresse, et efface de son visage toute trace de frayeur. Seuls subsistent des mains tremblantes et un regard non plus horrifié mais hostile. Comme s’il m’en voulait à mort. Mais je fais que mon boulot, moi. Merde.
Ca va ? Qu’est ce qui vous est arrivé ?, m’efforcé-je de demander gentiment.
Rien. J’ai pas l’habitude de voir des policiers ici, voilà tout ; ça attire toujours des ennuis, tout le monde sait ça, me réplique sèchement le concierge, chez qui la frayeur initiale a bel et bien laissé place à une haine féroce.
Voyant qu’il ne m’en dira pas plus sur son étrange réaction, je me contente d’enchaîner sur les questions habituelles (" Connaissiez-vous la victime ? ", " Que faisiez au moment du meurtre ? ", et tout le touti ), mais le résultat n’est pas beaucoup plus réjouissant. Ton bourru, regard mauvais, et surtout cette désagréable impression de réponses apprises par cœur et qui sonnent faux comme c’est pas permis en tout cas - " Jamais entendu parler de lui. " (alors qu’il était dans son immeuble), " J’ai regardé la télé toute la soirée. " (un grand classique), etc…- . J’essaie bien de mettre un peu la pression au vieillard en réitérant mes questions avec de plus en plus d’insistance, mais rien n’y fait ; il reste aussi coopératif qu’un poulpe atrophié.
D’habitude, les concierges me répondent volontiers, et j’enchaîne alors, sur le ton de la conversation, avec des questions plus indiscrètes. Et très vite, j’ai mes réponses. Mais là, pas moyen d’en tirer quoique ce soit avec les questions d’usage, alors inutile d’essayer d’aller plus loin. De toute façon, il faudrait vraiment avoir des berniques à la place des yeux pour ne pas se rendre compte que ce vieillard borné me cache quelque chose. Mais j’ai autant de prise sur lui que j’en aurais sur un mur de glace. Froid et glissant.
Pour vous donner une idée, en un peu plus d’un quart d’heure, le seul renseignement que j’ai réussi à lui extirper, c’est que, hier soir, personne n’est ni entré ni sorti de l’immeuble. Ce qui ne m’avance pas, car, à mes yeux, croire aveuglément quoique peut me dire ce concierge, c’est se fourrer le doigt dans l’œil. Il respire autant la franchise qu’un politicien avant des élections, c’est vous dire…
De toute façon, pour ce qui est des personnes extérieures, c’est une piste à laquelle je pense depuis le début. Seulement voilà. Pénétrer l’immeuble, c’est bien beau, mais, les interphones étant absents dans ces immeubles pour retraités, le seul moyen de rentrer aurait été de connaître le digicode, en l’occurence le 2203 - j’ai un jour vu Rantaux le taper –.
Mais donc, pour que quelqu’un d’extérieur à l’immeuble ait pu savoir le digicode, il aurait fallu qu’un résident ait décidé de e révéler. Et, sincérement, je vois mal un petit vieux refiler à quiconque le tuyau pour s’introduire chez lui. Même topo pour Rantaux ; aussi stupide était-il, je ne le pense tout de même pas assez suicidaire pour donner le digicode à un de ses clients drogués prêts à tout pour sa dose.
Mystère et boule de gomme, donc. A moins que l’assassin ne soit l’un des vieux ?
…
Bon.
Au lieu de partit dans des élucubrations stupides, je ferais mieux de passer à la seconde étape de ma méthode. Je quitte le concierge, et me rends chez la voisine de palier de Rantaux, une certaine Yvette Paingot. Je frappe, et après quelques secondes de battement, j’entends des pas pressés, puis des cliquetis – sûrement un cadenas que l’on déverrouille. Enfin, la porte s’ouvre. Une vieille femme tassée m’accueille alors en tremblotant, visiblement en état de choc – rapport au meurtre, sans doute.
En même temps, il faut savoir que c’est elle qui, voulant emprunter une briquette de lait à Rantaux vers les dix heures du matin, avait découvert son corps sanguinolent, puis avait appelé la police. C’est pourquoi, afin de tenter d’en savoir le plus possible via un témoin aussi précieux, je m’y prends avec tact. Il faut croire que je m’y prends plutôt bien car, très vite, mon interlocutrice prend de l’assurance, devient bavarde, me raconte les rumeurs concernant Rantaux, et – enfin quelque chose d’intéressant à se mettre sous la dent –, me dit avoir entendu quelqu’un monter l’escalier vers 21h45, puis frapper à la porte de Rantaux pendant quelques minutes – c’est long quand même ! .
Mis à part le temps, je ne peux m’empêcher de trouver un autre élément curieux. Etant donné la moyenne d’âge dans cet immeuble, personne ne doit sortir de chez lui passé 21h. Il est donc fort probable qu’Yvette ait entendu le meurtrier.
Seulement voilà. Les légistes m’ont appelé il y a une demi-heure à peine pour m’informer que, d’après la rigor mortis du cadavre de Rantaux et la coagulation de son sang, sa mort remonterait aux alentours de 22h15 – 22h45. Mon interlocutrice me mentirait-elle ? Peu probable. Je vois franchement mal une conspiration de petits vieux fomenter le meurtre d’un jeune qui les ennuie. Mais bon, tout est possible, après tout. Néanmoins, je pense plutôt vers que l’assassin est resté discuter avec Rantaux, tout simplement.
Un retraité ? Non, il n’aurait pas été si bête que ça ; ne pouvant profiter de l’avantage de la force, il (ou elle ?) aurait plutôt élaboré un plan moins " rentre-dedans " ou alors aurait frappé par surprise. En gros, frapper à la porte de Rantaux et rester bavarder avec lui, c’est tout à fait ce que ne voudrait pas un vieillard assassin. Mais, en même temps, je ne vois pas qui d’autre qu’un vieux de l’immeuble aurait pu commettre ce meurtre.
Pour résumer, j’erre toujours en plein brouillard.
Avant de quitter Yvette, je prétexte " les besoins de l’enquête ", et vais allumer sa télévision. Un documentaire animalier sur l'ornythorinque de Patagonie apparaît à l'écran, accompagné de la voix du présentateu, au volume maximum. Satisfait, je m'en vais alors, sous le regard perplexe de la vieille femme.
Ensuite, je me rends de nouveau devant l’appartement de Rantaux, où j’ai donné rendez-vous à trois gendarmes pour qu’ils me fassent leur rapport. En effet, bien que je préfère travailler en solo, j’ai parfois besoin d’interroger un grand nombre de personnes en un court laps de temps, et je suis alors bien obligé de réquisitionner de la main d’œuvre. Quand j’arrive, les gendarmes sont déjà là, et me saluent sobrement.
Je ne suis pas très aimé au commissariat. Je résous toutes les affaires qu’on me confie, certes, mais on me trouve introverti, froid, solitaire, calculateur. Je ne nie pas, et, tant qu’on fait ce que je demande, on peut bien penser ce qu’on veut de moi. Je me suis livré corps et âme à la justice, alors le reste m’importe peu. Que les criminels paient, c'est tout ce qui compte.
Après avoir congédié les trois gendarmes, j’entre chez Rantaux et m’assois sur une chaise pour mettre de l’ordre dans mes idées.
D’après les rapports qui m’ont été faits, tous les autres locataires de cet immeuble ont plus de 60 ans, et tous ont dit avoir passé la soirée en regardant la télé, ou bien en lisant. Personne n’a invité quiconque chez lui, ni n’a donné le digicode à quelqu’un – mis à part la famille proche – .
Le meurtrier ne peut donc qu’être un des vieux – hypothèse que je trouve toujours aussi bancale – , quelqu’un de leur famille – plausible, même si ça me paraît tout aussi tiré par les cheveux – , ou bien encore un des clients de Rantaux, à qui ce-dernier aurait filé le digicode – très peu probable, car, comme je l’ai déjà expliqué, aucun dealer n’est assez stupide pour se mettre autant en danger face à des drogués en manque de dope – .
En gros, je ne suis sûr de rien.
Et c’est là qu’entre en scène la troisième phase de ma méthode, la dernière, celle qui permet de dissiper tous les doutes et de trouver la preuve irréfutable qui confondra le meurtrier. Autant les deux premières étapes étaient assez " bâteau ", assez banales, autant celle que je m'apprête à effectuer est beaucoup plus surprenante – et infaillible par la même occasion.
Je ferme la porte à clef, et commence enfin l'ultime phase de ma méthode: l'observation de la scène du crime, conjuguée à mon cerveau de flic bien rodé.
Tout d'abord, la position du corps. Au milieu de la pièce. Normal, pour quelqu'un qui s'est fait égorger. J'observe un peu la salle, et découvre quelque chose qui ne m’avait pas sauté aux yeux au départ ; malgré le désordre apparent et quelques bibelots cassés, on voit tout de suite qu'il n'y pas eu de lutte.
Aucun choc sur les murs, aucune griffure sur les meubles, aucune trace du meurtrier (ne serait-ce qu'une empreinte digitale, une trace de pas, ou même un cheveu). Et, preuve irréfutable, il y a du sang coagulé sur le parquet, mais pas sur les vêtements en pagaille par terre. Or, s'il y avait eu un combat, les vêtements seraient tombés pendant la lutte, et le sang dû à l'égorgement aurait giclé dessus. Mais là, ce n'est pas le cas. J'en déduis donc que l'appartement a été mis en désordre après le meurtre.
Cela, en plus du fait que l'armoire à pharmacie ait été vidée, prouve bien que le meurtrier voulait faire croire à un cambriolage perpétré par un des clients de Rantaux. Seulement, ça ne colle pas. Tout bon toxicomane, après avoir tué le dealer, serait directement parti chercher ses drogues dans la salle de bain. Aucune utilité à foutre le souk partout, sinon à perdre du temps, ou bien... à brouiller les pistes.
Donc, le meurtrier est quelqu'un de manipulateur, sûrement une connaissance de Rantaux. En effet, ce dernier a laissé passer son assassin derrière lui sans broncher, vu qu'il s'est fait égorger et qu’il n’y pas eu de lutte. La plupart des dealers que j’ai arrêtés étaient paranos au point de suspecter leur propre mère, et n’auraient jamais laissé quiconque, même un ami proche, leur passer dans le dos, mais après tout pourquoi pas ? Rantaux était un abruti, alors bon…
Bon, maintenant que j'ai observé la position du corps, je vais passer à ma petite astuce. En supposant que le meurtrier soit méticuleux, il a porté des gants, a essuyé ses chaussures avant d'entrer, etc... Bref, aucun moyen de le retrouver, pourrait-on croire.
Et pourtant, si ! Et c’est bien là tout le pilier de ma méthode ; il existe un endroit où les assassins n'osent jamais effacer leurs traces, ou en tout cas n'y pensent pas: le cadavre de leurs victimes.
Ne vous faites pas d'illusion, j'ai déjà inspecté le corps lui-même; il n'y a bien évideement rien qui puisse m'indiquer l'identité du tueur. Mais j'ai préféré attendre d'être seul pour observer là où se trouvait le corps.
Je m'accroupis, et inspecte la silhouette tracée à la craie. Du sang coagulé forme une croute rougeâtre sur le parquet, que j'ai demandé aux gendarmes de ne pas nettoyer. J'observe de plus près l'hémoglobine de Rantaux, mais rien ne vient troubler la surface lisse. Décidément, l'assassin que je cherche est un pro.
Je me relève, et m'intéresse à l'espace contigu et dur d'accès situé entre les pieds du cadavre et le mur, que le meurtrier a pu oublier. Ah ! Enfin quelque chose ! Un petit bout de miroir, là, juste dans l'encoignure. J'enfile des gants, et me saisis du morceau de verre; aucun doute, il provient d'une glace. Je relève la tête, et je remarque immédiatement une marque rectangulaire sur le mur. C'est là que se trouvait le miroir. Mais pourquoi l'avoir enlevé ?
Je réfléchis un peu... Une glace. Si Rantaux avait vu quelqu'un qu'il connaissait peu s'approcher dangereusement de lui par derrière grâce au miroir, il y aurait une lutte. Or, c'est pas le cas. C'est donc quelqu'un de très proche au dealer qui l'a tué, ce-dernier n'ayant pas réagi en le voyant s'approcher de lui dans la glace. L'assassin a ensuite retiré le miroir, qui aurait indiqué à la police que Rantaux connaissait son meurtrier. Ce qui confirme donc bien que le tueur était un ami de sa victime, au vu de la confiance que le dealer avait en lui.
Bien, ça avance vite, mine de rien.
Je saisis le portable de Rantaux, que les gendarmes m'ont laissé, et regarde sa liste de numéros enregistrés. Bien. Le numéro de l'assassin n'est pas là-dedans, c'est évident - le meurtrier, s’il était un ami de Rantaux, aurait bien sûr supprimer son nom de la liste.
Comme il n'y a pas d'interphone, si le meurtrier a pu entrer dans l’immeuble, c'est que Rantaux lui a filé le digicode. Leur rendez-vous était donc prévu, un coup de fil du tueur a dû planifier cette soirée. Je me rends donc dans les derniers appels reçus, et découvre, comme par hasard, un coup de téléphone qui date d'il y a quatre jours et qui provient d'un numéro que je n'avais pas vu parmi ceux en mémoire.
Je tiens mon assassin.
Tout a été assez facile, en fin de compte. Le tueur a beau avoir été très pro, je l'ai vite démasqué. Cela dit, ma méthode est infaillible, donc bon.
Le commissaire sera content.
Mais un doute subsiste. Une impression, rien de plus, mais qui me fait signe que je suis allé trop vite en besogne. Comme l’arrière-goût amer d’un bonbon. Un petit truc cloche, sans que je puisse mettre le doigt dessus. Je le sens, ce petit grain de sable dans le bel engrenage des mes déductions. Je m’assois, la tête entre les mains, et cherche ce qui peut bien ne pas coller.
Et soudain, je trouve.
Les bruits de pas de 21h45. Les longues minutes de toquage de porte avant que Rantaux ne lui ouvre. Et surtout le fait que la personne qui m'ait fourni cette information soit quasi sourde, comme en témoigne le volume de sa télé.
Si Rantaux avait vraiment planifié le rendez-vous, il n'aurait pas fait poireauter son ami, et ce même ami, le meurtrier donc, ne se serait pas amusé à marcher si bruyamment, son forfait étant prémédité au moins quatre jours à l’avance – comme en témoigne le coup de fil.
Ce qui veut dire que toutes les déductions que je viens de faire sont fausses.NRantaux ne connaissait pas celui qui l'a égorgé. Je n’ai pas le temps d’aller plus loin dans mes pensées que des vertiges nauséeux me montent au cerveau. Comment est-ce possible? Comment ai-je pu me faire abuser par un meurtrier, moi qui n'en ai pas laissé un seul en liberté depuis le début de ma carrière ? Qui est ce génie qui a totalement prévu mes déductions, et qui, pendant que je m'échine vainement à le retrouver, se gausse en me toisant ? Je peux pas supporter ça !! ...
Allons, allons. Du calme, Samuel, du calme. L'assassin ne t'a pas encore échappé.
Récapitulons: le meurtrier connaissait le digicode, il a grimpé bruyamment les marches de l'escalier et Rantaux a rechigné à lui ouvrir, preuve qu'il ne le connaissait pas - ou qu'il le craignait ?Et surtout, vu comment ce meurtrier a brouillé les pistes, je suis presque sûr que j’ai affaire à un génie !
Non... Un génie ne tue pas des dealers à la manque... Si l'assassin n'est pas surdoué, mais qu’il a tout de même failli me diriger sur une fausse piste, cela veut donc dire que...
…Qu'il connaissait mes méthodes, et qu'il savait que j'allais être chargé de l'affaire !
Comment est-ce possible ? De nouveau, une migraine me lancine. Je m'assois sur le sofa, la tête entre les mains. C’est évident, il y a une solution – il y en a toujours une. Je me torture l'esprit, toujours nauséeux et désorienté.
Tout à coup, comme si une formidable clarté venait d’exploser pour éclairer tous les recoins sombres de mon cerveau, je comprends tout.
La réaction du concierge, le digicode que le tueur connaissait, ma cuite d'hier soir, mon amnésie, les bruits de pas, l'intelligence inouïe du meurtrier, la disparition des drogues – alors qu'aucun flic digne de ce nom n'aurait réellement cru à un cambriolage –. Tout tremblant, comme si je ne voulais pas y croire, je m'entends soudain articuler ces mots :
L’assassin… c’est moi.
A peine ai-je prononcé cette phrase que tout me revient en mémoire.
La bière qui monte à la tête.
Le Jazz.
L'ennui.
L'envie de coffrer Rantaux au plus tôt.
Je me retrouve subitement quelques heures plus tôt, hier soir, alors que j'écoutais tranquillement la radio en me saoulant.
Je me vois sortir de ma voiture en titubant, bien décidé à envoyer Rantaux en tôle le soir-même. Je tape le digicode – que je connais car j'ai espionné Rantaux avec zèle auparavant – . Une fois dans l'immeuble, je gravis les escaliers avec toute la discrétion que peut avoir un flic saoul et enragé. Arrivé sur le seuil de chez le dealer, je toque comme un malade. Après de longues minutes d'attente, Rantaux, sûrement endormi, entrouvre enfin la porte, juste assez pour voir qui je suis. Mais surtout juste assez pour que j'y glisse le canon de mon flingue. Le dealer, comprenant soudain dans quel guet-apens il se trouve, renonce à s'enfuir et se contente de m'ouvrir la porte sous mes ordres.
A peine suis-je rentré dans l'appartement de Rantaux que je découvre soudain la quantité faramineuse de drogues qu'il possédait. Toutes entassées là, à même le sol, sur les tables, partout. Des centaines de seringues, de sachets de poudre, de gélules. De toute ma carrière de flic, jamais je n'avais encore vu une telle multitude de poisons mortels concentrés en un si petit espace.
Aussitôt, l'effet de l'alcool se dissipe pour laisser place à une rage indicible. Je prends conscience que j'ai en face de moi un monstre qui, avec ses armes par milliers, se rend coupable d'un véritable génocide à long terme. Vu ses bibelots de pacotille et ses meubles moisis, la richesse importe peu pour lui; sa seule motivatin est d'empoisonner le monde entier. La prison serait un châtiment trop doux pour un tel démon.
Il ne mérite que la mort. Il faut qu’il se fasse tuer. Il faut que je le tue.
Tout en réfrénant tant bien que mal les pulsions meurtrières qui parcourent mon corps, je m'efforce d'élaborer un plan. Eliminer un monstre, d'accord, mais finir en tôle moi-même, non merci. Je suis le seul à faire le boulot correctement ici; faudrait pas que d'autres criminels profitent de mon incarcération pour proliférer ! Il faut donc que je m'arrange pour manipuler celui qui sera chargé de l'enquête sur le meurtre de Rantaux. C'est à dire moi-même. Une petite minute suffit pour que ma stratégie soit au point.
J’enfile des gants, saisis un couteau de cuisine, puis amène le dealer dans son salon, le canon du flingue toujours rivé sur sa tête. Vu sa tronche perplexe et apeurée, il se demande sûrement où je veux en venir. Je lui plaque le pistolet sur la tempe, passe derrière lui, puis, avant qu'il ait le temps de comprendre ce qui lui arrive, j'abaisse mon couteau dans sa nuque en murmurant pour moi-même:
- Il fallait bien que quelqu’un le fasse…
Rantaux s'écroule par terre, tué sur le coup. Bien. Une bonne chose de faite. Une vague de chaleur me parcourt le corps – comme à chaque fois que j’ai arrêté un criminel.
Maintenant, je dois me dépêcher de couvrir mes arrières, pour faire croire au moi de demain que le dealer connaissait son meurtrier. C'est pas bien difficile, je connais mes méthodes par coeur ! J'enlève tout d'abord le fameux miroir, en en laissant sciemment tomber un morceau dans un zone que j'ai l'habitude de ratisser, puis j'efface le numéro d'un contact choisi au hasard dans le portable de Rantaux.
Ensuite, je sors de l'immeuble en quatrième vitesse, saisit un sac poubelle près de conteners voisins, et revient chez le dealer. Là, j'enfourne une gélule dans ma poche, et enfourne le reste des drogues dans mon sac- en prenant soin d’en disséminer quelques unes par terre pour faire plus " faux cambriolage ". Puis je redescens dehors. Je cache ma besace magique, accompagnée de son ami le couteau ensanglanté, bien profond dans une poubelle.
Mais c'est pas fini. Je fonce chez le concierge, qui m'a sûrement vu rentrer et sortir. J'ouvre la porte à la volée, et lui demande directement s'il m'a vu faire mes allers-retours. Il reste muet, mais sa langue se délie soudain face à mon flingue:
- Oui je vous ai vu monsieur ! Mais me tuez pas ! Je dirai rien à la police !
Je me saisis de son carnet de contacts qui traînait sur une commode, et lui susurre à l'oreille, le pistolet enfoncé dans sa bouche :
Dans ce calepin, je trouverai toutes les coordonnées de ta famille, tes amis,... Tout.
Il frémit.
Si jamais tu parles de moi à qui que ce soit, crois-moi que j'aurai le temps d'aller leur rendre une petite visite avant d'être envoyé derrière les barreaux... Capiche ?
Tout tremblant, le vieux acquiesce. J’abaisse mon arme, et m'en vais avec le carnet. Avant de partir, je rajoute seulement:
- Tu ne dis rien à personne, on est bien d'accord ? A personne. Pas même… à moi.
Sans m’attarder pour voir la réaction du vieux, je ressors et retourne dans ma voiture, en jetant le fameux calepin du concierge dans une poubelle au passage. Une fois bien installé, je sors la gélule que j'avais prise chez Rantaux de ma poche.
GHB. Un rictus me tord le visage. La drogue des violeurs. Qui fait perdre la mémoire. Sans réfléchir, je l'avale tout rond, ça passe tout seul avec un goulée de bière, et m'endors presque aussitôt.
Demain est un autre jour.
Petit à petit, je m'extirpe de mes souvenirs.
Ainsi donc, je tiens le meurtrier depuis le début. Je me sens tout faible. J'ai tué. Pour la bonne cause, peut-être, mais ça ne justifie rien. L'alcool m'est monté au cerveau. Je suis de ceux que je pourchasse. Je suis ma proie et mon prédateur. Je suis mon propre ennemi.
Alors, machinalement, je tape le numéro de la police sur mon portable et prévient le commissaire que je tiens le meurtrier. Puis, avec ces gestes lents que l'on ne contrôle pas et qui s'imposent d'eux-mêmes, je mets les menottes à l’assassin, et lui ordonne de rester assis sur le sofa en attendant la police. Il acquiesce, résigné, choqué, incrédule.
Il a l'air triste aussi.
Bah ! Bien fait pour lui. Qu'il moisisse en prison. C’est bien connu pourtant ; tous les meurtriers que je pourchasse finissent en prison.
Tous.
Copyright © Nodnid 2008
[Nouvelle] L'homme en brun |
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09/04/2008 à 19:36 |
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09/04/2008 à 19:38 |
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3/12 |
09/04/2008 à 20:03 |
déjà lu il y a quelques moi xD
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4/12 |
09/04/2008 à 20:14 |
Génial.
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5/12 |
09/04/2008 à 20:15 |
nickel ^^ t'écris bien
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6/12 |
09/04/2008 à 20:16 |
Même si on devine qui est l'assassin au milieu de l'intrigue , j'avoue que c'est bien tenu. :]
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09/04/2008 à 20:47 |
Eh bien ! Vraiment, bravo et merci à ceux qui ont tout lu ! Et heureux que ça vous ait plus, of course.
Mallory => Tu avais deviné ? :/ Peux-tu juste me dire la phrase ou le passage qui t'as révélé ce qui était censé rester un mystère ? Merci d'avance
[Nouvelle] L'homme en brun |
8/12 |
09/04/2008 à 21:10 |
"Mais un doute subsiste. Une impression, rien de plus, mais qui me fait signe que je suis allé trop vite en besogne. "
Dès que j'ai vu ça , j'ai repensé au passage où Samuel disait qu'il fallait qu'on connaisse sa technique infaillible pour qu'il puisse se faire doubler.
[Nouvelle] L'homme en brun |
9/12 |
09/04/2008 à 21:14 |
Mallory a écrit :
"Mais un doute subsiste. Une impression, rien de plus, mais qui me fait signe que je suis allé trop vite en besogne. "Dès que j'ai vu ça , j'ai repensé au passage où Samuel disait qu'il fallait qu'on connaisse sa technique infaillible pour qu'il puisse se faire doubler.
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Owned.
Oké, bah merci alors, j'essaierai de réviser ça, mais en fait je vois mal comment... Je crois que t'es trop perspicace en fait. C'est de ta faute voilà
[Nouvelle] L'homme en brun |
10/12 |
09/04/2008 à 22:34 |
Ah oui, ce concours totalement raté. C'est moi qui l'avait organisé, mais ça avait été un véritable fasco, à cause de certains jurés qui contestaient tout. On s'est tellement pris la tête qu'au bout d'un moment j'ai fini par laisser tomber. La démocratie ça a du bon, mais pour tomber tout le temps d'accord, c'est pas facile.
D'ailleurs j'avais estimé que ta nouvelle aurait mérité de remporter le concours il me semble.
[Nouvelle] L'homme en brun |
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09/04/2008 à 22:39 |
J'suis fan de toi
[Nouvelle] L'homme en brun |
12/12 |
10/04/2008 à 23:21 |
Antigone_ a écrit :
Ah oui, ce concours totalement raté. C'est moi qui l'avait organisé, mais ça avait été un véritable fasco, à cause de certains jurés qui contestaient tout. On s'est tellement pris la tête qu'au bout d'un moment j'ai fini par laisser tomber. La démocratie ça a du bon, mais pour tomber tout le temps d'accord, c'est pas facile.D'ailleurs j'avais estimé que ta nouvelle aurait mérité de remporter le concours il me semble.
Oui, je me rappelle très bien, Mlle Yabasta
Bah pas grave, gérer un concours c'est vraiment pas facile et, de toute façon, le principal est que ça m'a apporté la motivation nécessaire pour écrire un tel pavé (mais oui on peut le dire).
Bref, en tout cas, heureux que ça t'ait plu, même si je le savais déjà ^^
MAGIQUE => Si tu savais comme je te comprends...
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Enfin bon, merci quoi