[Ca fera bientôt deux ans que j'ai écrit cette nouvelle. A mes yeux, elle n'a aucune prétention, si ce n'est le plaisir que j'ai ressenti lors de son écriture. J'accepte toutes les critiques, tant que c'est pas du foutage de gueule. Bonne lecture.]
# Un rite sans lendemain.
L’être est là, il marche d’un pas léger dans les rues sales de la ville. Il goûte une dernière fois à cette sempiternelle vadrouille solitaire. Ce sera un adieu sans apothéose. Il imagine les traits lointains de la lune se formant peu à peu et se remémore avec exaltation ce goût si particulier qu’a la liberté, la première fois qu’on en jouit. C’est cela être vivant… véritablement. Et c’est peut-être cela le début du bonheur. Qui sait sans avoir vraiment essayé ?
Mais ce soir, il n’y a pas de lune. Il fait nuit noire. C’est une de ces nuits-là, où les cauchemars sévissent dans l’ombre de tous nos rêves illusoires. Ces nuits où l’air en lui-même, celui que l’on respire assurément, est perpétuellement corrompu par les esprits malveillants, qui répandent un mal plus pur qu’il n’est permis d’imaginer. L’individu errant poursuit sa progression instinctive, il affiche toujours ce même air imperturbable, cette physionomie détachée. Ses yeux vairons ne laissent refléter aucune de ses pensées, si bien qu’il a l’air d’un méchant insensible. Enola Tim finit par aboutir sur une plage polluée qu’il connait bien, elle aussi. Il observe : aucun déchet humain à perte de vue, un calme exquis envahit l’espace, le silence persiste, mais les pensées martèlent de coups, intenses et nombreux, cette bête, ce vide sans nom, cette inanité. Puis le néant progresse et l’élance, lacérant avec vigueur sa poitrine rocailleuse. Il avance alors à nouveau, grimpe sur le plus haut et le plus gros de tous les rochers peuplant cette plage infectée. Il vomit de tout son soûl. Par dégoût, par hypersensibilité à ces odeurs pestilentielles. Il reste encore un peu là, pensif. Puis il s’en va, comme il finissait toujours par s’en aller. Il regagne les ruelles malpropres, se souvient… y repense profondément et ne peut réprimer une grimace, imperceptible, mais ô combien douloureuse. Le passé lointain revient, les pensées s’entrechoquent une nouvelle fois, ressurgissant des entrailles de cet être torturé, s’en allant au loin, et revenant tels des boomerangs, aussi vite que des éclairs de raison, ou de folie :
Il ne partageait rien, même s’il y songeait parfois. Mais à quoi bon, car c’était sans cesse, durant des nuits et des journées d’absences égarées, que le mal progressait. L’adolescent ne fonctionnait pas tel un château de cartes, car pour que tout s’envole, il aurait fallu bien plus qu’une simple bourrasque. C’est pour cela que si brûlante soit-elle, l’affliction du jeune homme n’atteignait jamais son paroxysme.
Il y a quelques années, de la musique bourdonnait dans ses oreilles, lui faisant ni plus ni moins l’effet d’une drogue légale, comparable à des champignons hallucinogènes, sauf qu’il n’était ici question que de sensations. Il n’avait que faire du passé et du futur, il ne pensait qu’à l’instant présent. Tim éprouvait le besoin d’errer dans des environnements vides, bien qu’ils soient tous souillés par les gens affluant le jour. Ainsi se promenait-il la nuit, vêtu de sombres habits, seul et satisfait. L’adolescent n’avait jamais parlé de ses ballades nocturnes à qui que ce soit, et personne ne s’en était encore aperçu. A force d’ébauches nocturnes, il tendait vers une esquisse digne de la liberté, il en avait déjà un agréable avant-goût. Mais il en voulait plus, il souhaitait creuser pour en atteindre le fond, découvrir sa teneur véritable. C’était la seule chose dont il avait besoin. Enfant déjà, le garçon était paradoxal : un rien pouvait l’émerveiller, comme un miracle pouvait le laisser de marbre. Désormais, même la quête d’une âme quelconque qui le comprendrait vraiment lui semblait dérisoire, puisqu’elle était selon lui impossible et vouée à l’échec. L’obscurité, la méconnaissance de son propre esprit étaient en totale contradiction avec les phares, les lumières trop vives et éclatantes de tous ces êtres autour de lui, ou ailleurs. Alors qu’il descendait une rue en pente, des rêveries détestables avaient rejetèrent les flots de paroles mélodieuses fusant de ses écouteurs, afin de prendre aisément leur place. Tim n’accordait sa confiance à personne, par habitude ou profonde incapacité à le faire. Celle-ci prenait le dessus sur les rares amitiés et détruisait certains liens qu’il jugeait parfois dénués d’intérêt. C’était un des moindres coûts qu’il payait volontiers, car lorsque le garçon se détachait, un soulagement égoïste se faisait sentir en lui, puisque les personnes qui tenaient à lui se raréfiaient. S’ensuivaient toujours de paisibles mois de vadrouilles, d’explorations solitaires, pendant son temps libre. Toutefois, ses réflexions coutumières le tourmentaient. La crainte de changer sans s’en rendre véritablement compte s’intensifiait chaque jour, chaque nuit, sans cesse. Et l’adolescent avait beau chercher, il ne trouvait pas les racines de cette peur, le pourquoi du comment de cette misanthropie.
Mais maintenant, Tim sait comment. Durant la fin de son adolescence, il analysait des choses qui lui étaient autrefois totalement invisibles, et il n’arrivait pas à les interpréter. Trop nombreux étaient les gestes malsainement calculés, son cerveau était submergé par les faux-semblants grotesques des uns et des autres. En plus de cela, au sein de chaque regard se tapissaient des milliers de désirs, tous aussi ignobles les uns que les autres. C’était d’une simplicité extrême et il avait fallu du temps au jeune homme pour s’en rendre parfaitement compte : il préférait souffrir pour l’éternité, et ce de tous les châtiments qui soient jusqu’aux plus inimaginables, plutôt que de ressembler ne serait-ce que de loin à l’une de ces loques humaines sans une once de dignité.
Une pluie torrentielle déchire l’espace à la sortie de la ville. Tim ne grelotte pas, il est assis sur un banc, la tête levée vers le ciel, là où il y a des toits. Il a pris sa décision, a mûrement réfléchi, et depuis toutes ces années, il est enfin temps de passer à l’action. L’heure est venue de briser à jamais cette emprise machiavélique, ces derniers liens pouvant unir un garçon masqué à sa famille aveugle. Il est temps de partir, de trancher les dernières attaches. S’en aller, disparaître. Une parcelle de son être l’avait pressenti, avait toujours su qu’un jour mémorable viendrait : où il atteindrait ses limites, où il ne saurait plus faire semblant, où il quitterait ce rôle inintéressant de fils ou de frère parfait, où il s’en irait se chercher soi-même, loin des phares aveuglants, loin des lumières cinglantes, loin des plages polluées. C’est enfin, quelques instants plus tard, lorsque le soleil pointe son museau, que le jeune homme aux yeux vairons se lève, puis s’en va. On ne sait où, on ne sait comment, mais l’on sait néanmoins une chose : que c’est pour toujours.
#.
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1/9 |
02/09/2011 à 22:35 |
Bravo pour cette nouvelle tu as vraiment du talent.
Le vocabulaire employé, la légèreté de ton style, les descriptions employées et tout plein d’autres choses participent au réalisme et au plaisir de lire ce texte. Ce « Tim Enola » est vraiment un personnage intéressant, une sorte d’énigme à lui tout seul. En ce qui est de la fin, cette liberté quant au choix de la suite nous laisse un immense panel de possibilités. Mais je serai ravi un jour, de lire la suite, imaginée selon Yam !
Sur ce, bonne continuation et merci de nous avoir fait partager ce texte.
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2/9 |
03/09/2011 à 01:14 |
Le premier point c'est qu'il n'y a pas de faute et ça ça fait plaisir vu le peu de textes postés ici qui respectent cette règle. Par contre, c'est un peu lourd quand même, on décroche par moments. C'est peut-être aussi dû au fait que ça tourne en rond, tu exprimes la même idée sur plusieurs dizaines de lignes et au bout du compte ça ne dit pas grand chose. Il y a aussi le fait que certaines expressions ne sont pas terribles comme par exemple : "L’adolescent ne fonctionnait pas tel un château de cartes" ou "y repense profondément et ne peut réprimer une grimace, imperceptible", ça enlève un peu de crédibilité. Le thème reste commun et pas abordé d'une manière suffisamment intéressante (de mon point de vue, naturellement) mais bon dans l'ensemble ça reste au-dessus de la moyenne des textes postés ici.
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3/9 |
03/09/2011 à 01:24 |
Magnifique !
Tu as un talent immense et ta nouvelle m'a laissé sur ma faim. Un vocabulaire riche ( je viens d'apprendre le sens d'inanité), une très bonne maitrise de la langue française avec des adverbes et adjectifs judicieusement placés.
Cependant, il y a quelques défauts (moindres mais il faut atteindre la perfection)
C'est peut etre qu'il se fait tard mais il manque quelque chose qui tienne plus en haleine le lecteur, au moins sur le début, pour attiser sa curiosité, pour lui montrer ce qu'est la litterature !
l’air d’un méchant insensible
C'est mauvais, "l'air d'un insensible" frappe plus le lecteur, ou alors il faut trouver un autre adjectif.
Pour terminer, je dirais que c'est ça qu'il te manque, du frappant, pour que tu restes graver dans leurs petites caboches
Félicitations
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4/9 |
03/09/2011 à 01:30 |
Momoxx a écrit :
Pour terminer, je dirais que c'est ça qu'il te manque, du frappant, pour que tu restes graver dans leurs petites caboches
Oui c'est l'idée que je voulais exprimer quand je dis "pas suffisamment intéressant". Tu l'as bien mieux retranscrite que mouah. x)
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5/9 |
03/09/2011 à 02:43 |
C'est vrai qu'il y a quelques lourdeurs (pas très lourdes cela dit, juste un poil) et des expressions malhabiles, mais on voit que c'est travaillé et qu'il y a du style.
Je suis pas vraiment plongée dans le texte mais j'ai beaucoup aimé la chute x)
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6/9 |
03/09/2011 à 05:00 |
Merci ! Merci de relever le niveau. Entre les poèmes niaiseux (dont je me suis plainte sur trois topics en une semaine je crois, je devrais changer de disque) et... ben les poèmes niaiseux, ça fait plaisir de voir enfin un texte abouti qui parle d'autre chose que de l'amour ou du petit ami qui s'en est allé rejoindre les étoiles.
Cela dit ! Tu devrais éviter les -ant (je sais pas le nom exact. Ex : amenuisant, arretant, etc), ça alourdit beaucoup la lecture et ton texte en comporte bien plus que nécessaire.
Comme on l'a déjà souligné, quelques tournure maladroites, mais rien de bien méchant.
Je trouve aussi que tu places parfois bizarrement ta ponctuation, mais c'est totalement subjectif.
Je t'avoue que j'ai décroché une ou deux fois et lu quelques lignes en diagonale : un peu trop de description à mon gout.
Il y a des locutions que je trouve toujours très moches à l'écrit, comme "le garçon" ou "l'adolescent", je ne sais pas pourquoi mais ça me heurte à chaque fois. Mais bon je crois que ça n'emmerde que moi.
La nouvelle est peut-être un peu trop saturée d'adjectifs ?
En tout cas j'espère que tu continues à écrire, c'est vraiment très bien. Et malgré ces quelques lourdeurs, ça reste agréable à lire. Bravo !
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7/9 |
04/09/2011 à 03:10 |
Ow. Vos commentaires dépassent mes attentes. Merci à tous pour vos impressions, conseils, avis, et corrections. C'est constructif.
able milk a écrit :Ce « Tim Enola » est vraiment un personnage intéressant, une sorte d’énigme à lui tout seul. En ce qui est de la fin, cette liberté quant au choix de la suite nous laisse un immense panel de possibilités.
Tiens, toi t'as l'air d'avoir remarqué l'anagramme du nom de famille. Même si c'est simpliste comme tout ; je ne suis pas un expert en terme de codes. Bien que j'ai aussi essayé de faire référence à un événement historique à travers le nom.
Quant à la fin, t'as absolument raison, j'ai essayé d'instaurer une double fin. Le lecteur choisit, inconsciemment ou non, ce qu'il préfère. D'un autre côté, je ne sais pas si c'est assez évident. Il y a une fin qui se discerne bien plus facilement que l'autre - la liberté qu'est la fuite, une nouvelle vie, vers l'inconnu > la liberté à travers la mort ? N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.
#.
Frosties, be subversive et Aleph. Concernant la lourdeur, vous avez raison, il y en a. C'est moins dérangeant selon mon optique des choses, mais je la ressens tout de même. Ca reste oppressant et pesant pour la plupart des lecteurs, je pense. Je sais pas, c'est peut-être à cause du narrateur - on m'a une fois dit qu'il sonnait trop omnipotent -, ou comme vous l'avez dit de la surabondance d'adjectifs, des locutions...
Momoxx a écrit :C'est peut être qu'il se fait tard mais il manque quelque chose qui tienne plus en haleine le lecteur, au moins sur le début, pour attiser sa curiosité, pour lui montrer ce qu'est la littérature !
[...]
Pour terminer, je dirais que c'est ça qu'il te manque, du frappant, pour que tu restes graver dans leurs petites caboches
Ca manque de piment hein ! C'est bien une des choses que je regrette le plus, surtout pour une nouvelle.
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8/9 |
04/09/2011 à 04:20 |
Sur la forme, déjà pas de fautes donc merci.
La mise en page plus aérée ça aurait peut-être aidé à ce qu'on décroche pas deux ou trois fois.
Sur le fond si tu nous avais introduit ça en... je sais pas... prémice d'introduction à une nouvelle, sa aurait été plus "honnête", parce que clairement ça se suffit pas, mais c'est relativement classique quand on commence à écrire, on écrit d'abord ce qu'on aime quitte à ce que ce soit un peu décousu.
Puis c'est une constante aussi d'avoir du mal à se désencrasser des clichés lyrisme idiot parfois etc...
En tout cas vocabulaire plutôt riche pas de fautes, un début de style, même si ça se bosse bref bon début continue!!!
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9/9 |
10/10/2011 à 19:38 |
Yep, alors ce sera une sorte d'introduction à une nouvelle sans suite. C'est mieux en effet. Merci de ton avis.
Et UP de la muerte au passage.