( Petite mise en contexte, pour que ça parle plus... L'action se situe en Juillet 1942, après les rafles du Vel D'Hiv. Et vous le devinerez bien assez tôt, il s'agit du journal intime d'une jeune juive qui se retrouve cachée. - Je ne sais pas du tout à quoi m'attendre comme réactions, disons que je me trouvais déjà indécente et déplacée de m'essayer à l'écriture d'une telle situation. Enfin, maintenant que je suis lancée, j'aimerais quelques critiques franches et constructives, sachant que je risque toujours de modifier et de retravailler ce texte. Du reste, pardonnez la longueur, plus c'est long plus c'est bon, non ?... x)
Bien à vous ! )
07.42
07h00
"Le monde aurait pu être simple comme le ciel et la mer."
Un vieux bout de tissu imprégné de sueur, d'un bouquet de souvenirs aux effluves vaporeux. Je le tiens contre moi, crispée par des sanglots que j'étouffe en ma gorge, un flot de larmes salines noyées sous mes paupières.
Les combles nous accablent d'une chaleur pesante; les petits dorment déjà. Sept heures sonnent au clocher. Mon père est silencieux, plus personne ne bouge. Le moindre mouvement, le moindre bruit de pas, d'une chaise raclant de sol, d'une parole qui résonne, nous serait pernicieux.
Se tenir aux aguets, immobiles, s'oublier. Perclus dans un silence hagard, chacun s'épie, se dévisage. Dans l'attente d'un rien, au fil du hasard. Ce n'était pas hier, serait-ce donc aujourd'hui ?
*
18h00
Il y a trois jours encore, tu étais là, parmi nous, souriant. Les bureaux se fermaient, la ville s'engourdissait. Alors, avec prudence, tu montais nous rejoindre, t'asseyais sur un siège, celui-là même, d'ailleurs, où mon père reste prostré...
L'étoffe contre ma peau, elle m'esquinte, elle m'irrite. Et je suffoque, j'étouffe de toi. Je revois toutes ces scènes comme un immense théâtre, une illusion, un drame. Nous en vivons l'entracte, qui s'éternise et qui perdure... Qui s'amenuise et qui se perd.
Ton allure d'homme sérieux me fascinait d'effroi. J'étais curieuse et réservée, suspendue à tes lèvres, corps et âmes indécis, réticents; et à la fois séduits autant que impatients. Nous ne savions que dire dans ce mutisme pudique. Soulagés, interdits face à cet étrange rite. C'était presque sadique ce supplice moral que tu nous affligeais, et que nous réclamions, contre toute logique. Elle était plus puissante, plus puissante et perverse, cette fatalité incoercible de justifier nos peurs, de les rendre tangibles voire même légitimes. Il fallait que l'on sache. Que ces craintes orphelines retrouvent leurs origines. Quand bien même en seraient-elles plus délétères et importunes, enracinées.
Parce que tes visites ainsi que tes rapports, c'était aussi et sans doute surtout, le seul lien extérieur qui nous gardait humains plutôt que clandestins, étrangers à nous même.
Alors, en quelques chuchotements, tu nous décrivais tout. Ce Dehors incertain, les dernières nouvelles, naturellement mauvaises ou pénibles à entendre. Des rafles et des persécutions, incessantes, continuelles; Gestapo et puis Kohen, Dvoske, Feigel. Des noms qui ne nous disaient rien mais dont l'évocation nous faisait tous pâlir. À dire vrai, tu ne savais pas bien ce qui les attendait, ce qu'il y avait ensuite. "Les bruits de rues ne sont pas fiables...Dans le doute, je m'abstiens". Tu restais donc confiant, ou alors, faisait semblant. Et puis tu posais sur la table quelques vivres, un peu de linges. De quoi tenir, jusqu'à demain, ou peut-être au delà ?
"Sait-on jamais...".
C'était très court, très allusif, presque irréel.
Et il y avait une fin. Comme à toute trêve, à tout répit. La fin d'un acte ou d'une pièce. D'un triste jeu de rôles qui s'avère vérité et que nous avions joué comme des acteurs maudits; d'un cercle vicieux qui nous tournait la tête, et qui tournait tellement qu'il en devenait un point, un furtif point final ponctuant nos journées...
Ainsi, à l'abri des regards ou à la dérobé, tu venais m'embrasser, sur le coin de la bouche ou parfois sur le front. Tu me disais, "je t'aime". Et puis tu t'en allais.
Et c'était ça, la fin. C'était ma fin à moi. Une fin qui était feinte comme si elle était vraie. Comme un adieu à Nous, une anticipation. Comme si nous nous prévenions d'un mal dont on ne guérit pas, d'une séparation qui ne se retrouve pas...
Une réplique muette qui en disait si long qu'elle en devenait rapide. Un tragique de geste à en être indigeste... Un tragique de maux qui dépasse mes mots...
Je manque de vomir à force d'y penser, d'à chaque fois resserrer l'étreinte de mes membres autour de ta chemise, l'étau de ma conscience autour de ma douleur.
Je t'aperçois encore, allure fugitive et démarche furtive, passer la trappe, descendre l'échelle. En bas tes pas résonnent, traversant la mansarde jusqu'à ce nouveau Monde qui nous est tant hostile. Et en fermant les yeux, concentrant mon esprit, je reconnaîtrais même le bruit de la serrure, des rouages rouillés actionnés par ta clé...
Des fantômes sensoriels qui me font devenir folle, de toi et de terreur, d'une torture nerveuse.
Trois jours, déjà.
Et si... toi aussi ?
***
06h00
Sur la façade Est, le matin se dessine, à travers une lucarne ternie par la poussière, dont le châssis concave rappelle le soleil que nous ne voyons plus. Et puis toujours, au loin, porté solennellement par la brise matinale, le son des cloches de l'Église, qui battent la mesure.
J'ignore quel jour nous sommes, j'en connais juste l'heure. Référence dérisoire qui scande, en artifice, notre état de latence, routine atemporelle, notre vie en sursis.
Entre angoisse et scrupule, incertitude confuse, je ne trouve pas Morphée. La nuit a été longue ou peut-être trop courte. Là encore je m'y perds, et ne saurais redire de quoi cette nuit fut faite, si ce n'est de l'attente, béante et maladive, d'un signe de ta part.
Quatre soirs sans rien... Les espoirs sont maigres. Aussi maigres que nous.
J'ai l'étrange impression de vivre, de survivre, dans un monde parallèle, à l'envers du miroir. L'aurore devient notre crépuscule et leur absence notre réveil. Dans cette ambiance malsaine, mon père demeure muet et ma mère affaiblie.
Souvent, j'entends les jumeaux geindre, en sourdine, sans comprendre le pourquoi, ni même le comment. J'aimerais, nous aimerions tous les rassurer. Leur dire que ce n'est qu'un passage, un très mauvais passage, si ce n'est pas une farce ! Qu'on sortira bientôt, qu'ils reverront l'école, leurs amis, leur maison...
Si seulement nous parvenions déjà à nous convaincre nous-même.
Je n'aime pas le mensonge. Et j'ai peine à sourire autant qu'à en pleurer en pensant qu'aujourd'hui, nous en sommes devenu un. À simuler la fuite, feindre de ne plus être.
Je me trouve dérangeante.
Nous vivons dans une bulle, murés dans un grenier où la psychose s'installe, où nous sommes tous esclaves de la paranoïa. Il en va de la vie, voire de l'avenir, si avenir il y a. Et quand bien même le temps n'est plus une notion qui parle, chaque minute de gagnée, à gonfler nos poumons d'une once d'oxygène, à sentir battre un cœur à rythme régulier, ce n'est ni une victoire, encore moins une défaite, c'est une preuve de vie, et la vie c'est l'espoir...?
Auto-persuasion.
*
10h00
Si nous sommes en Août, le mois prochain, j'aurai 20 ans.
Je frissonne à cette phrase, je parle de futur ! Beaucoup n'ont pas cette chance. Du reste je me demande si je l'ai réellement... Il est dur de savoir ce qu'il nous est permis, ou ce qui est tabou.
Mais il nous reste si peu que j'essaye d'y croire, à tort ou à raison.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans.
*
12h00
Comme seul loisir et seul échappatoire, à travers les pierres, je distingue avec peine quelques vacarmes externes. Bavardages de marché, pétarades de voiture, et sonneries d'école, éclats de rires d'enfants. Il fut un temps, un passé proche, où mes frères y auraient fait écho. Pour l'instant, ils sont blancs. Livides par la fatigue, grelottants par le chaud, le froid, la moiteur pénétrante qui confine la pièce. Les genoux de ma mère leur tiennent lieu de refuge. Serrés l'un contre l'autre, ils se fixent du regard. Ils souffrent de la faim, et bientôt de la soif.
Ce sont des sensations qui transcendent les mots. Quoique, quatre jours à jeun, ça ne parait pas grand-chose. Si ce n'est une carence, un vide en soi qui nous aspire et ronge progressivement nos dernières réserves, avant de s'en prendre à nos muscles, notre chaire, à notre envie de vivre. C'est une faim qui nous dévore, nous torture l'estomac, qui à soif de nous.
Je transpire et je pleure. J'ai tellement besoin d'eau. Ma peau est tantôt sèche, humide de sueur. Des miasmes fétides dont je me rends honteuse. Salie et indécente. Dans cette état second, je ne m'estime plus femme. Privés de tout honneur, de toute fierté, nous sommes là, croupissant, parmi des immondices, dans des loques souillées.
Je gémis par la honte...
À quand notre retour à la réalité ...? À quand le tien, auprès de moi ? À quand la vie, le début de la fin, la fin de ce début ?
À tout écrire sur ce papier, je me trouve ridicule, encore plus impudente. D'exister en silence, sur des fibres inflammables, une matière si fragile. De promettre à l'oubli quelques traces de moi. D'écrire et de décrire un malaise profond, un mal être intérieur, avec ma maladresse, des mots qui ne parlent pas. Qui ne disent pas assez ou qui ne peuvent pas dire. Des mots bien trop timides et des mauvaises tournures. Je m'exprime sans le faire. Et je refoule tellement que j'ai le mal de mer. Les émotions abordent mes lèvres, font frissonner mes doigts. Me traversent de toute part de quelques vagues à l'âme qui ne s'exorcisent pas...
*
??h??, il fait nuit, je crois.
Ça y est, mon père l'a dit. Tu ne reviendras pas, il en est presque sûr. Moi aussi, je l'étais, avant de n'être rien. Tu sais, ainsi dit par sa bouche, je me sens défaillir. Les vertiges me prennent. Je prends soudain conscience. Ou peut-être je la perds ? L'idée pointait déjà en intuition proscrite. Je voulais l'interdire, me la cacher encore. Je n'aime pas le mensonge, mais j'appréciais le tien. Il me faisait tenir...
À une corde que l'on coupe au dessus d'un abîme.
[...]
Et maintenant ? Que sais-je ? L'Attente ?
L'Attente.
Il n'y a plus d'immédiat, de passé, de futur. Il n'y en avait déjà pas, il y en a encore moins. Alors il reste l'Attente. Qui titube et chancèle. Sa seule béquille d'espoir, support de mirage, vient tout juste de se rompre pour mieux s'estomper.
Je suis déjà à terre, atterrée, étourdie. Tout ne tenait qu'à ça, qu'à ce verdict, cette voix paternelle qui fait tout s'effondrer. Je sais qu'il n'en sait rien. Qu'il a lâché ces mots comme sur son lit de mort on livre nos secrets, que tout le monde connait, mais ne voulait admettre.
Ce n'était qu'un constat.
"Sait-on jamais ...?" Je ne sais pas.
Maintenant, si maintenant existe encore, si nous ne sommes pas privé du Temps en plus de la Vie, alors Maintenant j'existe. J'existe puisque je me laisserai mourir. "Et que celui qui se donne la mort court après une image qu'il se forge de lui même. Puisque l'on ne meurt jamais qu'pour exister encore."
Malraux, la Condition, ça me parle, maintenant. Mais trop tard. Les uns contre les autres, nos âmes s'amalgament. Le silence retombe. Et la torpeur nous coiffe de franges d'introspection.
Combien de "temps", encore ?
** * **
Ils sont armés. Ils hurlent. Pour ne pas dire qu'ils gueulent. Ordres, menaces, insultes. L'un d'eux avance d'un pas, tout prêt à s'acharner. Par instinct tutélaire, mon père se relève. Pour mieux retomber. Un violent coup de crosse vient de l'abattre au sol. Alors ma mère crie, s'écroule à ses côtés. Ils me jettent par la trappe. Sous l'effet de la chute, ma cheville gauche se tord. Devant moi, ils sont cinq. Encore plus imposants, plus haineux et férins. Et les actions s'imbriquent sans trop que je comprenne. À demi assommée, j'ai le crâne étourdi.
La meute se divise, laissant soudain paraître une dépouille, un martyr. Un être désarticulé. Mutilé, estropié. Maintenu par des mains qui pétrissent ses muscles et lui brisent les os.
Comme un choc. Une gifle. Un impact. Un à-coup. J'ai le souffle coupé. Essoufflé, gémissant. Tu te tiens pantelant. Défiguré, sanglant. Tu es là, juste là. Devant moi, expirant.
J'ai peine à distinguer si tu oses m'observer. Tes paupières sont tuméfiées d'hématomes et tes arcades ouvertes. Je détourne la tête.
Bousculée en avant, je réprime une grimage et déserre de ma taille ton haillon de chemise. Mon être déchiré par cette délation, je manque de m'étrangler. Un obus lancinant explose dans ma gorge du temps que les nausées se vomissent par ma bouche.
Et tout s'enchaîne sèchement. Tu hurles mon prénom. Ils te frappent à la nuque. En haut les jumeaux pleurent, se débattent, sont battus. J'agonise contre un mur, la tête dans tes guenilles. Et de nouveau tu jures, tu martèles mon prénom. Ils t'éjectent contre moi. Se moquent, nous humilient. Alors les cloisons vibrent, sous la fureur du heurt. Et comme un signe divin, s'il n'est pas ironique, une feuille de papier tombe. Bout de calendrier. Accusateurs et horrifiants, les chiffres rouges m'agressent. Nous n'étions pas en Août, sinon en fin Juillet.
Alors le mois prochain, je n'aurai pas vingt ans.
Ne les aurai, d'ailleurs, jamais.
Copyright Noémie © Mai-Juin 2009 (inutile, mais j'y tiens. ;-) )
Am Stram Gram.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
1/7 |
14/06/2009 à 01:36 |
Dire que je l'ai eu en avant première =D
Donc, j'aime beaucoup ce texte, comme tous ceux que tu as écrit. La lecture est facile, un défaut que je n'avais pas relevé tout à l'heure.
La fille écrit dans un registre assez soutenu, et je ne sais pas si cela montre quelle à eu une éducation particulièrement soignée pour l'époque, ou que tu utilises ton propre vocabulaire que je trouve peu être un peu 'déplacé' ici.
Le fait est que j'aime beaucoup, et je trouve que tu as énormément de talent.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
2/7 |
14/06/2009 à 01:42 |
Si j'en crois mes souvenirs de 3ème, les familles juives étaient, à l'époque, réputée pour être relativement riches, enfin, haut placées pour la plupart.
Ce qui pourrait excuser le style trop soutenu... ? Enfin, je t'avoue quand même qu'à la base, j'y ai surtout imposé le mien. x)
Merci encore pour ton avis.
ASG.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
3/7 |
14/06/2009 à 10:26 |
Pour commencer: J'aime beaucoup tes textes et ta facon d'écrire.
C'est pareil pour celui-ci. J'ai tout lu. Même si il y a des passages un peu "lents", j'aime beaucoup. Surtout la fin.
Je n'aime pas lire des textes sur ce sujet, parce qu' à l'école, on lit toujours des textes sur ce sujet. Ca me rend toujours assez triste. Mais là, j'ai aimé. C'est différent.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
4/7 |
14/06/2009 à 13:30 |
Un peu redondant par moment, mais sinon c'est pas mal.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
5/7 |
14/06/2009 à 13:46 |
Waaaa
Je suis le seul à trouver ça horriblement gonflant?
Mettre des mots que tu trouves jolis les uns derrière les autres pour faire des phrases de 4 lignes incompréhensibles, c'est pas ça avoir du style ouy savoir écrire ! Allège ton texte pour le rendre un minimum digeste et accrocheur. La beauté n'est pas dans la complexité...
Ca n'a aucune musicalité, la ponctuation est souvent mal orchestrée et je ne parlerai pas d'lintringue, je ne suis pas arrivé au bout.
En somme, trop pompeux pour moi. Mais tu t'es donné du mal, ça ne fait aucun doute.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
6/7 |
14/06/2009 à 14:18 |
Bibere > J'ai un style emphatique, en ce sens que j'aime jouer avec les mots, les sonorités, probablement les rimes et parfois les rythmes. Et ce, sans doute souvent au détriment du fond. Après, je ne pense pas avoir à me justifier davatange, sachant que je me complais dans ce style, quoique je le travaille toujours pour le simplifier et le rendre plus vivant que prosaïque.
Enfin, je comprends totalement, et d'ailleurs, j'en suis même satisfaite quelque part, qu'on puisse le trouver profondément ennuyant et désagréable à lire. Personne n'a la même sensibilité ni rapport avec un texte, et ce, dans n'importe quelle littérature de n'importe quelle époque. (Loin de moi quand même l'idée de me comparer à de grands hommes de lettres.
)
Frosties et Senseless > Quant au côté lent et redondant, c'était quelque part voulu et en même temps inconscient. J'aurais espéré rendre le temps réellement plus nonchalant et l'ambiance sensiblement lourde, pesante.
Enfin, ça fait aussi partie de moi ce côté trop verbeux.
En tout cas, je vous remercie pour vos critiques constructives ! Ca aide.
ASG.
Le mois prochain, j'aurai 20 ans. (Texte) |
7/7 |
14/06/2009 à 17:25 |
Je n'aime pas parce que :
Je trouve que le côté redondant est trop prononcé, c'est pour donner de l'insistance au texte j'imagine mais je trouve parfois mal géré, j'ai tout lu mais dans l'ensemble j'ai eu du mal à rester captivé.
Manque d'accroches je trouve.