[ Un texte, pour essayer de changer cette vision que nous avons de la rupture. Finalement ça ne change peut-être rien du tout, mais le texte est là quand même. Alors si vous avez un avis, vous savez qu'il m'intéresse . ]
Son regard se posa douloureusement sur moi. Elle plissait légèrement les yeux, ces yeux dont la moindre lumière irritait la clarté. Ses paupières battaient doucement, et l’incompréhension, le désespoir, l’indulgence se partageaient l’azur de son regard.
J’entendis son visage, peut-être son corps entier me demander « Pourquoi ? », et son front plissé, son nez retroussé, sa bouche entrouverte me firent comprendre que tout, absolument tout son être dépendait de ce que j’allais dire là.
Les secondes qui séparèrent sa question de ma réponse lui semblèrent peut-être des années. A moi, elles paraissaient trop courtes. Chaque petite seconde était un piège, et m’attendait au tournant, un grand poignard à la main.
En vérité, elle savait très bien « pourquoi ». Mais si elles franchissaient mes lèvres, ces choses qu’elle savait déjà l’assassineraient. Que dire alors ? Puisque je ne pouvais pas mentir sans qu’elle le sache, puisque je ne pouvais pas dire la vérité sans qu’elle en souffre ?
Le lent frottement qu’elle infligeait à ses mains, la cassure de son dos, les larmes qui, je le voyais bien, se retenaient poliment de couler, trahissaient l’évidente anxiété qui se baladait dans l’atmosphère.
Ma voix sortit de mon corps, presque contre ma volonté, et spectateur de moi-même, j’entendis, gêné, les paroles dont je l’entourais :
« Les mois ont passé. Et les secondes, alertes, uniques que nous partagions ont fait un peu de place à des secondes plus monotones, plus semblables les unes aux autres, qui sont rapidement devenues les maitresses du temps que nous passons ensemble. L’amour dense qui faisait palpiter mes veines est devenu plus diffus, et s’est confondu, peu à peu, à la sympathie, à l’habitude. A l’amitié. Qu’est ce que l’amitié, sinon de l’amour, un peu affaibli ? J’ai eu du mal à l’admettre, mais j’ai finalement compris que pour que nos secondes redeviennent vivantes et que chacune compte à sa façon, il faut les occuper différemment. Et bannir ces mots doux et ces caresses que la sincérité a désertés, et que, par habitude, nous avons continué à échanger. J’ai envie d’être exact avec toi, parce que tu le mérites. Te mentir chaque jour sans y penser, ce n’est pas de l’exactitude. Mais ne plus te voir du tout ne l’est pas non plus. J’ai envie de te voir, comme toujours, comme d’habitude, parce que ça me semble évident entre nous. J’ai envie de te voir rire et parler, de te voir raconter et critiquer, envisager et annuler. Philosopher. Vivre. Aimer. Aimer, mais d’une manière différente. »
Je me tus. Les larmes coulaient maintenant, mais son dos s’était redressé, sa bouche s’était refermée, son front s’était aplani. Et ses bras, soulagés, retombaient mollement sur ses hanches.
Ça avait été très dur. De mettre des mots sur sa douleur. D’oser, poser ces mots. Ils étaient dits maintenant, et rien ne me ferait revenir en arrière. Ni les inévitables questionnements qui déjà hurlaient dans ma tête, ni le doute, ni la nostalgie. J’avais choisi ça, à la facilité. Au mensonge, à l’hypocrisie. Ils étaient dits maintenant, ces mots amers et rugueux, qui écorchaient chaque fois un peu mes lèvres.
En un élan, elle me serra très fort contre elle. Ses larmes mouillaient mes épaules et ses légers sanglots m’agitaient doucement. C’était un au revoir.
Mais c’était aussi une rencontre.
Une rencontre. [nouvelle] |
21/25 |
11/09/2008 à 19:00 |
Frosties a écrit :
C'est pas mal mais...je vois pas pourquoi tu mets un "s" à dit ?
Parce que "les mots" est un pluriel
.
Une rencontre. [nouvelle] |
22/25 |
11/09/2008 à 21:41 |
C'est très bien écrit et j'aime beaucoup l'image que tu donnes à la rupture.
Bravo.
Une rencontre. [nouvelle] |
23/25 |
11/09/2008 à 21:44 |
Merci beaucoup !
Une rencontre. [nouvelle] |
24/25 |
11/09/2008 à 22:52 |
Une rencontre. [nouvelle] |
25/25 |
12/09/2008 à 16:53 |
Merci à toi !