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Am Stram Gram | J'ai revu un ange. | 22 | 30/12/07 à 23:24 |
- M'dame l'infirmière ! Prennez nous en photo s'il-vous-plaît.
Paul lui tend l'appareil ouvert et prêt à archiver plusieurs clichés. Il revient ensuite s'asseoir au pied du lit avec soin et précaution. Le matelas penche un peu et mes jambes glissent vers lui.
Il prend la pose en se marrant. J'esquisse une grimace qui se voudrait souriante. L'aide-soignante recule, manque de se ramasser le coin de porte, prend quelques secondes afin de mieux nous cadrer puis, bien avant de nous éblouir par un flash qui ne se déclenchera jamais, redonne le numérique en bredouillant une excuse comme : "Plus de batterie..."
À dire vrai, plongée dans mes oreillers et à moitié comateuse, je n'entends pas très bien. Paul semble toutefois la remercier, un peu frustré mais obligé de lui témoigner un minimum de respect et de sympathie. Elle quitte la petite chambre exigue et blanche qui divulge une sensation claustrophobique et des remulges de produits stérilisés.
Il se repenche sur moi.
- Tu parles d'une poisse...
- C'est pas grave, je t'aurais pas laissé faire jusqu'au bout de toute façon.
- Ah ouais, et pourquoi ? Ca te répugne de gâcher des pellicules pour nous ?
- Paul...
- Tu m'excuseras, Lucile, mais ça m'rend fou de n'avoir droit qu'à une seule visite et qu'tu ne veuilles même pas l'immortaliser.
- Le bonheur ne s'immortalise pas, Paul. Il ne s'écrit pas. Pas plus qu'il ne se photographie. Le bonheur il se vit.
Je m'essouffle. Il m'écoute, pensif. Je m'attarde sur ses yeux noirs, deux pierres précieuses ornant un oeuvre d'art sans égal. Voilà, première envolée lyrique. Derrière lui, le soleil couchant décroche un halo de rayons qui se décalque sur sa chevelure rebelle... J'allonge alors mon cou et l'embrasse furtivement au coin des lèvres. Comme ça. Comme pour lui montrer que ça aussi c'est quelque chose qui se ressent intégralement et non qui puisse rêvetir plusieurs longs détours sinueux de phrases pour l'exprimer.
Il reste encore un moment les yeux fermés. Je l'ai emmené ailleurs. Tant mieux. Cet hôpital est affreusement triste avec son blanc fardeux et criard.
Je sens ses doigts chercher les miens, les trouver et s'y glisser au creux ... Il les ramène contre sa paume puis, du pouce, effleure le revers de ma main fragile et blême, contournant les cicatrices des premières perfusions et le nouveau bandage. Je lève la tête, lorgnant le goutte-à-goutte qui déverse, sans débit flagrant, cette substance nutritive, légèrement jaunâtre, dans mes veines douloureuses et gonflées.
Il revient à lui, sourit puis souffle son haleine à la menthe sur mon nez, mes yeux, mon front.
Son regard s'éternalise sur mon visage hâve, mes pommettes saillantes, mes joues creusées, mes lèvres sèches et livides. Il passe sa main sur mes cheveux maigres et fins collés à mon front et à mes tempes osseuses... Comment peut-il ne pas fuir ?
- Je t'aime aussi.
Je déglutine et ouvre la bouche, vaguement surprise.
- Ne dis rien, je l'ai lu dans tes yeux. Y a toujours ce feu d'artifice qui y éclate en mille paillettes d'amour.
Il termine sur un clin d'oeil puis ajoute en murmurant :
- Tu vas t'en sortir ma puce. Je le sais. Et puis t'as pas l'droit de piquer du nez dans ces conneries. On a plein de mini toi et mini moi à faire. On a plein de projets à réaliser. Tout plein de nuits à passer ensemble. Tout plein d'endroit à trouver pour y faire l'amour.
- J'aimerais...
J'aimerais lui dire. J'aimerais l'Aimer. J'aimerais m'enfuir d'ici, m'enfuir ailleurs. J'aimerais vivre, avec lui. J'aimerais tout lui donner. J'aimerais parler d'avenir sans conditionnel. J'aimerais...
Mais je n'aimerais pas plus. Mon état reflenche vers le zéro absolu avant de n'avoir pu lui livrer sur le bord de mon lit ce que j'aimerais de nous, de lui.
Et encore ces sueurs intérieures qui me traversent. Qui remontent, qui descendent, qui stagnent à un endroit, gèlent, brûlent, et repartent. Ces tressaillements qui aiguillonnent ma colonne vertébrale. Ces battements de coeur à m'en soulever le thorax, m'en briser les côtes. Ce sang empoisonné qui afflue dans mes membres et les engourdit, contractant mes muscles de fourmillements. Ce vide qui m'aspire au fond du lit et au-delà. Cette force voilée dans mon crâne qui pompe toutes nuances de vie en un bruit de succion continuel et muet....
Je ne lâche plus que des murmures étouffés, asphixiée par deux mains invisibles qui m'étranglent et écrasent mes artères... Je vois trouble, brume, contours indistincts, couleurs diluées.
Il s'affole. Serre ma main, comme si je partais loin... Il crie. Il hurle. Il gueule. Ma langue devient pâteuse, mon palais gluant et infâme. Je vomis quelques paroles dans un silence continu et sifflant...
- Tu sais, Paul, aujourd'hui j'ai revu un ange...
Il ne comprend pas, il pleure, il gémit. Personne n'arrive. Il secoue la tête, s'épuise sur la sonnette.
- J'ai revu un ange, Paul...
Il ne comprend toujours pas. Je n'arrive pas à continuer. Ses larmes s'écrasent en tâches clairesemées et rosées sur ma peau cireuse.
L'infirmière du départ accourt enfin. Les secondes passent, s'égrènent, se volatisent. Je ne sens plus rien, plus rien que le froid qui m'avale, qui gèle d'abord chaque extrémité de mon corps, les faisant virer au violet. Puis qui grapille plusieurs centimètres de chair, de muscles, d'os, d'organe jusqu'à, finalement, figer mon coeur dans une glace éternelle et qui ne dégèle pas.
Une troupe de médecin finit par franchir l'encadrement. Sans plus attendre, ils dégagent fermement Paul de mon chevet, craintif et toujours en pleurs. Tandis que deux d'entre eux s'emparent des bordures en fer du lit et m'entraînent dans un long couloir, un troisième se crispe sur la barre métallique où se transbahutent poches de médicaments et d'aliments liquides. Je ne distingue plus que les lampes à néons protégées par un grillage qui défilent au dessus de moi pour finir par se confondre en jet de lumières aveugle et saccadé.
Ce n'est qu'avant de pénétrer dans la salle finale que je l'aperçu. Il jaillit de je ne sais où, se cramponna à mon bras et, sans prendre en considération les avertissement du corps médical il geint quelque chose dont je ne compris rien mais pris la peine, en un effort vaint et létal, d'y répondre en sussurant.
- Paul... Paul... Aujourd'hui... partir en paix... revu un ange... crois au Paradis...
Et sa vision s'évanouit derrière deux battants de portes hermétiques.
Copyright © Noémie, Décembre 2007.
J'hésitais à poster ce texte. Je n'aime plus c'que j'écris et commence à croire que j'vais abandonner. Mais bref, ne nous attardons pas sur mon découragement, vous êtes ici pour critiquer.
À vos clavier,
Am Stram Gram.
J'ai revu un ange. | 21/22 | 31/12/2007 à 17:07 |
J'ai revu un ange. | 22/22 | 31/12/2007 à 17:35 |