Sur la première rangée, une boite rouge et ronde. Une boite bleue rectangulaire. Et d'autres boites, de toute formes et toute couleurs.
Sur la seconde rangée, celle sur laquelle je travaille, un carton informe sans couleur, et derrière lui d'autres le suivent, alignés. Je consulte la commande journalière : 1. jaune en carré ; 2. vert en losange ; 3. violet en rectangle ; 4. orange en carré ; 5. beige en triangle. Et ainsi de suite.
Le bruit ronronnant des rangées de boites qui défilent et des pliages réguliers de cartons est la bande sonore qui commence la journée ; qui la déroule, qui l'étire et qui l'achève.
Toutes ces boites, nous les fabriquons. Nous les colorisons, nous les plions, et nous les envoyons sur la rangée n°1, où une autre équipe se charge de les trier par destinations. Ailleurs, on les remplit. Ensuite, elles sont envoyées.
Et tout le monde les reçoit.
Je ne vois que des boites toute la journée. Elles me viennent informes et transparentes ; et elles me quittent solides, de formes et de tailles variées, et colorées selon la commande. Elles défilent infiniment devant mes yeux et entre mes mains. Dans mon sommeil, elles me hantent. Me poursuivent jusque dans mes cauchemars, où elles me prennent en otage et m'ordonnent de les plier selon telle ou telle forme, me demandant de rendre plus seyant tel angle obtus ou aigu, de les parer de rayures multicolores, de donner plus de vitalité à leur orange ou leur bleu, ou toute sorte d'autres fantaisies grotesques et épuisantes.
Dans mes pires songes, il arrive que malgré mon travail irréprochable, elles grossissent, ouvrent leur couvercle sur moi et m'emballent sans pitié.
J'exècre les boites. Je voudrais les détruire avant même leur conception. Plus de boites. Déchirer l'apparence. Exploser la structure. Tuer l'indispensable. Car sans boites, plus rien ne pourrai plus circuler. Pour circuler, tout produit dois être emballé, étiqueté, payé et livré pour être ouvert et utilisé.
Sans emballage, ça foutrait toute la chaine en l'air.
Plus de boites oui, c'est mon rêve. Le rêve éveillé qui me maintient chaque fin de journée suffisamment vivant pour faire la route jusqu'à chez moi, où ma femme aura déjà ouvert les boites reçues dans la journée et les aura envoyés à la chaine de déformation & décolorisation des boites pour leur recyclage. Ces boites que nous avons pu acheter grâce à mon emploi de fabriquant de boites.
Que contiennent-elles ? De tout, vraiment. Tout ce que l'on peut souhaiter : vêtements, nourriture, abonnements à des chaines de télévision, eau, médicaments, électricité, jeux, outils, contrats, publicités vantant les mérites des boites et de leurs produits, robots, livres, accès à des sites internet, salaires et argent, meubles, gadgets, savons, plantes ...
De vrai particules de bonheur en boite.
Le signal de la fermeture de l'usine me tire de mes pensées et je termine rapidement la dernière boite, losange et vert, puis je tourne les talons.
Aujourd'hui, je ne veut pas rentrer trop tôt chez moi. Je sais que si je ne traine pas, quelques boites seront encore entassées dans le salon. Je ne veux pas les voir.
Je pénètre dans le parc de la ville. Il est peu fréquenté à ce moment de la journée ; généralement les gens rentrent chez eux et sortent leurs nouveaux bien des emballages qu'ils ont commandé.
Cela dit le parc n'est pas désert, je croise le frère de ma femme et lui fait un signe de tête. Lui aussi semble apprécier la solitude de fin de journée. Il travaille dans la livraison. Je crois qu'il est inutile de vous préciser ce qu'il livre.
Voilà un banc libre à l'ombre d'un chêne. Je m'y assois, prêt à succomber un instant à la fatigue qui m'étreint, quand un homme s'avance vers moi.
"Bonjour, co-citoyen !" lance-t-il en me gratifiant du salut inter-classe, c'est à dire en élevant la main droite vers son torse et la tend à plat vers moi dans un geste gracieux.
L'emphase de son expression me surprend un peu, néanmoins je lui rend son salut.
Inutile de se présenter pour savoir qu'il est un travailleur intellectuel ; son deux-pièce noir, sa chemise blanche, sa mallette probablement pleine de documents, et même ses cheveux mi-long faussement négligés le disent pour lui. Tout comme ma tenue grise d'ouvrier et mon dos arqué décrivent mon statut de travailleur manuel à qui me regarde.
Il s'arrête à quelques pas de moi. "Auriez-vous s'il vous plait une cigarette ? Distrait comme je suis pas les affaires, j'ai oublié d'en commander une boite !"
"Bien sûr. Un instant"
Je me retourne et cherche deux cigarette dans la petite boite au fond de ma poche.
Rectangulaire et Mauve, ma boite.
Pourquoi me suis-je retourné pour l'ouvrir ? Vous montreriez vos sous-vêtements à des inconnu ? Non, eh bien la même pudeur ordonne que nous ne leur montrions pas nos boites. La couleur et la forme que nous choisissons en disent beaucoup sur les personnes, parait-il, ce qui les fait appartenir au domaine privé. Intime.
Bref. Je lui donne une cigarette et m'en allume une.
"Merci, jeune homme."
Il resta là. Au bout de quelques secondes, la politesse m'obligea à engager la conversation :
"Dure journée ?"
"Habituelle. J'ai oeuvré pour la paix, je me suis engagé dans un conflit guerrier, j'ai fait des déclarations. C'est une routine qui fini par lasser, mais c'est mon métier."
"oh. Pardon, quel est votre métier ?"
"Je suis un philosophe."
"Les philosophes n'ont-il pas pour rôle de penser la vie et transmettre leurs réflexions ?"
"C'est une définition bien obsolète. La vie a suffisamment été pensée, maintenant nous la vivons."
"Signer des traités est devenu un acte philosophique ?"
"Ne me donnez pas de leçons sur la manière de faire mon métier et je ne vous donnerais pas de leçons sur le votre. D'ailleurs, quel est-il, votre métier ?" Pas de mépris dans sa voix, elle avait la neutralité de ... d'une boite carrée blanche.
"Je suis un fabriquant de boites. "
"Ah ! Mais c'est fantastique ! Vous faites partie du socle de notre société !"
Il est maintenant assez enthousiaste. Une boite orange fluorescente et ronde qui vous échappe des mains en bondissant.
"Si vous le dites, philosophe. Je dois m'en aller."
Détruire.
Il m'agace.
Nous nous saluons et je me dirige vers mon domicile. Une maison pré-fabriquée parmi d'autres. Une boite, oui.
Je peux sentir la présence fantôme des boites dans ma maison. J'embrasse nonchalamment ma femme qui me raconte que nous avons reçu de merveilleuses choses. Je prétexte une grande fatigue pour aller me reposer seul.
Une heure plus tard, je ne dors pas. Je regarde ma maison brûler.
Et mon usine explose, les boites volent en tous sens et se consument doucement sur le sol.
Certaines maisons sont en ruine ou calcinées. On raconte que le gouvernement est tombé, les gens sont désemparés, tout le monde se bouscule, on hurle, on pleure, et un rire, le mien, perce ce vacarme.
Faire sauter les boites. Toutes les boites.
Je continue de marcher dans une foule indistincte, je m'avance et j'ai la sensation de tomber et ...
Je me réveille. C'était un rêve ? Vraiment ? Amertume et désespoir. Je me lève, dégouté.
Plus de boites. Plus jamais.
Juste une dernière, et après plus rien. J'ouvre un tiroir, et la voilà : carrée et noire. Je l'ai commandé et fabriqué au début de ma carrière. Jamais ouverte. Il est temps.
Je l'ouvre et j'y trouve cet objet, petite boite chargée de mort, au bout rond et noir et froid, au manche qui s'ancre si bien dans ma main usée , ma main dont l'index caresse la détente alors qu'elle s'élève contre ma tempe.
Je ferme les yeux, crispe ma main sur l'objet et presse la détente. Enfin les boites sortent de mon esprit.
_
Le matin même, il fût mis en terre dans un cercueil d'ébène rectangulaire.
Le fabriquant de boites. |
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29/04/2011 à 02:26 |
Et t'as cru que nous, métropolitains, on allait lire ça à 2 heures du mat ?!
Le fabriquant de boites. |
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29/04/2011 à 02:32 |
Ben moi oui, j'ai lu et adoré !
L'atmosphère est assez oppressante, j'imagine que c'était le but recherché donc pour moi c'est réussi.
Le fabriquant de boites. |
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29/04/2011 à 02:32 |
stranh : Non. J'espère vous tuer à la tâche.
Zinni : Merci
Le fabriquant de boites. |
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29/04/2011 à 15:21 |
Il fait jour maintenant. D'autres avis ?
Le fabriquant de boites. |
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29/04/2011 à 15:25 |
Pas la motivation de lire. D'soler.
Sensuality
Le fabriquant de boites. |
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29/04/2011 à 20:19 |
C'est juste magnifique.
Le fabriquant de boites. |
7/28 |
29/04/2011 à 21:35 |
Ah c'est vraiment cool ! Juste la fin qui arrive peut-être un peu trop brusquement, mais bon je vais pas cracher dans la soupe, j'ai a-do-ré ! Ça fait du bien de voir des gens talentueux ici, ça faisait longtemps.
Le fabriquant de boites. |
8/28 |
29/04/2011 à 22:13 |
J'aurais fait la même remarque qu'au dessus : une bonne chute, mais qui est un peu rapide. On s'attend à un peu plus de détails, on se demande quelle est la raison qui l'a poussé à sauté le pas ce jour là précisément alors qu'à priori, il aurait pu le faire de nombreuses fois auparavant.
Hormis ce petit détail, j'ai vraiment aimé. C'est un sujet original, très bien développé et très agréable à lire.
Le fabriquant de boites. |
9/28 |
29/04/2011 à 22:20 |
Dis, t'as regardé Brazil ?
En passant c'est pas mal du tout, drôle d'idée quand même mais pas mal mis en forme et tout, j'aime bien ;)
Un peu court la fin oui par contre.
Le fabriquant de boites. |
10/28 |
29/04/2011 à 22:34 |
J'ai quand même relevé pas mal de fautes, t'as pas dû te relire. Et je suis d'accord, au niveau de la chute ça coince, c'est bâclé et d'un coup ça rend tout de suite le truc moins bien que ce qu'il aurait pu être.
Le fabriquant de boites. |
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03/05/2011 à 17:06 |
Neelhan a écrit : on se demande quelle est la raison qui l'a poussé à sauté le pas ce jour là précisément alors qu'à priori, il aurait pu le faire de nombreuses fois auparavant.
Le déclencheur, c'est le fait qu'il réalise que son rêve n'était qu'un rêve. Sa seule chance de sortir de sa routine infernale aurait été que la société tombe en miettes. Alors il est blasé, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
En plus il a passé une mauvaise journée, il a pas pu se poser tranquillement après le travail à cause du philosophe qui l'a gonflé.
Brown Jenkin a écrit :
Dis, t'as regardé Brazil ?
Nop, je connais pas, d'après le résumé il a l'air chouette, je vais le regarder x).
En effet il manque un truc avant la fin, un petit pétage de câble pré-suicide qui ferait encore monter la pression et qui explique le geste. Je vais retravailler ça.
Par contre je pensais avoir géré pour les fautes, je vais revoir tout ça aussi
. Merci.
Le fabriquant de boites. |
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04/05/2011 à 20:39 |
up
Le fabriquant de boites. |
13/28 |
08/05/2011 à 20:48 |
J'aime beaucoup, je trouve que c'est très bien écrit, avec un rythme soutenu assez agréable, la chute peut-être rapide. La chute m'a fait penser à la fin du Horla de Maupassant quand le narrateur brûle sa maison
Le fabriquant de boites. |
14/28 |
11/05/2011 à 18:27 |
Des ptites boites qui finiront dans une grosse boite.
Un texte boiteux si on me permet le jeu de mot.
Mais bon ça déboite pas mal quand même.
Le fabriquant de boites. |
15/28 |
12/05/2011 à 18:25 |
hoho !
Le fabriquant de boites. |
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12/05/2011 à 19:03 |
J'aime beaucoup
Le fabriquant de boites. |
17/28 |
14/07/2011 à 13:41 |
nan en fait y'a rien à ajouter j'pense, c'est compréhensible.
Le fabriquant de boites. |
18/28 |
14/07/2011 à 13:49 |
Sympa.
Avec un rythme plus lent sur la fin, le texte serait moins bancale.
Le fabriquant de boites. |
19/28 |
14/07/2011 à 13:53 |
J'ai beaucoup aimé. Le style a quelque chose de malsain, mais la manière d'écrire est simple, assez journalistique. Ça m'a fait pensé à Orwell, j'ai keefé ma mère la fougère =X
Le fabriquant de boites. |
20/28 |
16/07/2011 à 15:36 |
Marki.
Drizzt a écrit :Avec un rythme plus lent sur la fin, le texte serait moins bancale.
Il fallait un rythme rapide selon moi. J'aime les fins qui font boum.